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cette singulière charrue; le paysan confectionne lui-même son matériel agricole, et pour tout fabriquer, il n’a dans sa chaumière qu’un seul outil, une hache à main.

L’exploitation agricole des propriétaires est meilleure, et il entre dans leurs instrumens un peu plus de fer ou de fonte. Néanmoins le matériel agricole ne constitue point encore ici une grande dépense. J’ai visité un domaine où six cents hectares environ sont mis annuellement en culture : les charrettes, les charrues, les herses, enfin tout le matériel qui avait servi à l’exploitation précédente avait été estimé par le fermier lui-même au total de 220 francs. Qu’on juge par ce chiffre des progrès que la mécanique agricole devra faire dans ce pays ! Il est cependant de grands propriétaires qui dirigent eux-mêmes la culture de plus de dix mille hectares avec une rare intelligence, qui reçoivent tous les nouveaux instrumens de l’Europe occidentale et même de l’Amérique, qui savent les adapter à la nature de leurs terres; mais ce ne sont là que des exceptions qui, pour être brillantes, n’en font que mieux contraste avec la situation générale.

Il existait en Russie, d’après un recensement officiel publié il y a quelques années, vingt-cinq millions de têtes de gros bétail. Ce nombre égalait celui que l’Autriche, la Prusse et la France possédaient ensemble à la même époque. Les provinces de la Petite-Russie sont les plus riches en bétail, et la race d’Ukraine se distingue par d’excellentes qualités. La couleur du bœuf ukrainien est invariablement d’un gris ardoisé, qui devient clair sous le ventre en passant au noir sur toutes les extrémités. Sa tête régulière, symétrique, se termine en pointe, tapering, comme disent les Anglais; elle est ornée d’une paire de longues cornes marbrées qui dessinent un croissant vertical. Le regard du bœuf de l’Ukraine est doux, légèrement oblique; son aptitude est plutôt celle d’un animal de trait que d’une bête d’engraissement : ses formes osseuses, saillantes, n’offrent pas ces parties cubiques des races perfectionnées pour la boucherie; mais les pieds sont fins et les jambes bien tournées. Malheureusement tout laisse à désirer dans l’entretien et la reproduction de cette race, qui, pour la taille, n’a point de rivale en Europe. Pour retrouver la race ukrainienne dans sa pureté primitive, il faut visiter les belles gulyas de la Hongrie, où les plus grands soins ont été apportés à l’amélioration de ce bétail, où les excellentes prairies de la Theiss ont été mises à sa disposition. Aucun pays ne saurait pourtant se créer plus facilement que la Petite-Russie d’excellens pâturages. Les plateaux qui composent la plus grande partie du sol sont coupés par des vallées où tombent les alluvions pluviales entraînées des sommets. Ces vallées pourraient être transformées en prairies qui couvriraient environ le dixième du territoire : il suffirait d’établir quelques fossés