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joui. Les chardons les plus robustes y deviennent presque arborescens et portent d’énormes fleurs rouges. Il n’y a du reste dans ces terrains que des plantes douces; on n’y trouve aucun de ces individus acides dont les surfaces incultes des sols calcaires sont généralement couvertes. Au bout de quelques années, les élémens minéraux nécessaires à la production des céréales s’étant reformés, on ramène la charrue sur cette espèce de jachère, et on obtient successivement quelques moissons abondantes. Tous les propriétaires n’ont pas recours à des moyens d’amélioration aussi longs et par conséquent aussi coûteux que ceux du steppage. Depuis quelques années, le nombre des terres soumises à cet énorme repos diminue beaucoup, surtout depuis l’introduction d’une récolte sarclée industrielle, la betterave à sucre, dont la culture s’étend de-jour en jour. La mise en exploitation des steppes rappelle en certaines circonstances les anciens usages des peuples émigrans. Ces terrains se trouvent quelquefois à une distance de plusieurs kilomètres du village central, et il deviendrait très difficile de faire chaque jour le voyage d’aller et retour avec des animaux et des instrumens. On établit alors un campement agricole au milieu des steppes; on dresse une grande tente couverte de paille pour abriter les ouvriers pendant la nuit, et on abandonne les animaux au libre pâturage. L’effet d’un tel cantonnement est très pittoresque, et les travaux s’y exécutent avec une gaieté inusitée qu’engendre, soit le plus grand rassemblement des ouvriers, soit une certaine liberté dont ils jouissent plus facilement qu’au village seigneurial.

Ce genre de steppes ne donne qu’une faible idée des immenses terrains appelés du même nom qui, de la rive gauche du Dnieper s’étendant au fleuve Oural vers le nord et au Caucase vers le midi, occupent en Europe quatre-vingt mille lieues carrées et une surface cinq fois plus grande en Sibérie. Ces steppes sont des déserts fertiles d’une dimension trois fois égale à celle de la France, couverts d’une puissante végétation qui se détruit chaque année, et dont les débris engraissent le sol. Image de la barbarie, cette végétation vigoureuse s’arrêtant aux plantes herbacées étouffe et anéantit les plus robustes individus du règne végétal, les arbres les plus élevés. Les chardons s’y montrent serrés, entrelacés, hauts de quarante pieds, et remplacent les forêts disparues. Ces riches déserts ont eu leur histoire, que nul ne sait plus; ils ont servi de stations aux peuples asiatiques qui sont venus peupler l’Europe. Des monumens nombreux, placés comme de mystérieux hiéroglyphes, attestent que des bras humains ont remué le sol, et pour être simplement de la terre recouverte de gazon, ces monumens n’en sont pas moins sans doute les plus anciens de l’Europe. Les campagnes de la Russie méridio-