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poteau où sont peintes les couleurs impériales indique la distance parcourue et celle qui reste encore jusqu’au prochain relais. Les chevaux sont de petite taille, mais ils trottent et galopent admirablement bien; les cochers qui les conduisent ont une méthode toute particulière d’entretenir leur allure, non point avec le fouet pourtant, car un iamechik l’emploie fort rarement, et il se contente de l’agiter autour de sa tête, mais par une espèce de conversation que les animaux semblent fort bien comprendre. Noù ! mes petits amis, crie le postillon d’une voix de fausset, allez vite, nous aurons pour boire; dépêchez-vous, le maître est pressé; noù ! noù ! quelle bonne avoine il y a là-bas et quelle bonne petite herbe! Noù ! hioup ! Depuis le départ jusqu’à l’arrivée, le postillon n’interrompt pas un instant cette conversation, assez curieuse par l’accentuation et les nombreux diminutifs du patois russe; aussi le voyageur fait-il régulièrement dix verstes ou kilomètres à l’heure. On ne trouve d’ailleurs en cette partie de la Russie ni diligences ni aucun autre service particulier; il faut avoir recours au pérécladnoë, c’est-à-dire à l’équipage que l’administration des postes met à la disposition des voyageurs : c’est une caisse en bois de six pieds de long sur trois de large, s’évasant par le haut; on place cette caisse, qui ressemble assez au moule dont les cantonniers se servent en France pour cuber les cailloux des routes, sur deux paires de roues très basses, et on attelle quatre chevaux qui partent ventre à terre. Le mouvement de secousse est exactement celui du tombereau. Voilà le seul moyen de voyager vite en Russie, et l’on fait souvent de cette façon mille ou quinze cents verstes sans s’arrêter.

La configuration du pays facilite singulièrement ces voyages rapides. Partout d’immenses plaines ou, pour employer le mot local, des steppes. On désigne aujourd’hui sous ce nom en Ukraine les terres laissées en repos pendant un intervalle qui varie de cinq à vingt ans et les terres incultes où la charrue n’a jamais passé. L’exploitation agricole consiste presque uniquement en céréales, et comme cette culture est particulièrement épuisante, on laisse, après quelques années de récolte, les champs dans un repos absolu. Ces terres, d’excellente qualité, se recouvrent promptement alors d’une luxuriante végétation de plantes vivaces qui atteignent une hauteur de deux ou trois mètres. Les plantes qui se développent ainsi spontanément appartiennent à des familles très différentes; dans les premières années, ce sont les graminées qui dominent; puis viennent des espèces plus fibreuses, comme des solanées, des atriplicées ; enfin ces dernières sont à leur tour remplacées par la robuste famille des carduacées. On peut estimer par l’inspection des plantes qui y végètent le nombre des années de repos dont les steppes ont