Ce n’est jamais sans quelque émotion qu’on franchit pour la première fois la frontière d’un pays étranger. Le voyageur est impatient de contrôler par la vue même de la réalité les jugemens contradictoires qu’il a pu recueillir sur la contrée devenue accessible à ses recherches. J’éprouvai surtout cette impression à mon arrivée en Russie. Ce grand empire a pris tard sa place au milieu des nations civilisées ; aujourd’hui même, pour jouir de toutes ses ressources, il lui manque encore l’exploitation libre de son territoire. Dans ses plus fertiles provinces, dans les terres noires par exemple, si l’on ne peut qu’admirer l’impulsion donnée à certaines branches du travail agricole et de la production industrielle, on est forcé trop souvent aussi de reconnaître la fâcheuse influence exercée par le servage sur la vie morale des populations. C’est ce contraste que les réformes promises par le gouvernement russe pourront faire disparaître dans un avenir dont on ne peut encore fixer la date. De leur côté, vingt-quatre millions de serfs n’attendent que le bienfait de l’affranchissement pour entrer dans la voie du progrès où marchent les autres peuples, pour développer les richesses qui dorment dans cette précieuse région. Telle est la situation qu’un long séjour dans la Russie méridionale m’a permis d’observer, et que je vais essayer de soumettre à un rapide examen.
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LES
TERRES NOIRES
DE LA RUSSIE
I. — LE PAYS.