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« J’ai souvent médité cette question, que le docteur Urquhart paraît prendre si à cœur. En lisant dans les journaux le récit des exécutions capitales, il m’est souvent arrivé de me sentir prise d’un immense dégoût. Il m’est arrivé de me réveiller, le jour où la sentence devait avoir son effet, dès la pointe du jour, et de compter, minute à minute, ces derniers instans de la vie du malheureux condamné, — jusqu’à ce que mon imagination excitée me représentât la scène du supplice avec ses détails presque aussi odieux, presque aussi révoltans que ceux du crime lui-même. Pourtant affirmer que la peine de mort devrait être rayée du code!... je n’osai aller jusque-là. Je me bornai donc à lui répéter doucement des paroles qui justement me revinrent en ce moment à l’esprit : car nous savons bien que le meurtrier n’a pas en lui la vie éternelle...

« — Mais enfin, disait-il, si le meurtre n’a pas été prémédité, pas même voulu;... si la vie a été ôtée par quelqu’un, — cela peut se supposer, — que la colère domine, ou dans des circonstances qui font que l’homme n’est plus lui-même;... s’il s’est repenti de son crime;... s’il l’a expié autant que cela était en lui;... si en échange de l’existence anéantie il a donné la sienne, non pas en mourant à son tour, mais en subissant le long tourment de vivre?...

« — Oui,... Lui dis-je, il m’est facile de concevoir l’existence d’un condamné,... ne le fût-il que par sa conscience,... un duelliste par exemple,... comme bien plus horrible que sa mort sur un échafaud.

« — Vous avez raison... J’ai vu des exemples qui le prouvent.

« Comme les souvenirs auxquels ces mots faisaient allusion paraissaient l’affecter péniblement, j’insinuai que ce sujet, qui n’avait rien de particulièrement agréable, ne devait pas nous occuper plus longtemps. — A quoi bon?... commençai-je.

« — Peut-être à quelque chose, interrompit-il. D’ailleurs faut-il reculer devant la recherche d’une vérité parce qu’elle n’a rien d’agréable? Ceci ne vous ressemble guère.

« — J’espère que vous me jugez mieux.

« Après quelques momens de silence, il continua : — Cette question est une de celles qui m’ont suggéré le plus de réflexions. J’ai là-dessus mon opinion bien arrêtée. Je sais ce que la plupart des hommes pensent à ce sujet. J’aimerais à savoir comment l’envisage une femme,... une chrétienne. Dites-moi donc si vous croyez que le vengeur du sang parcourt le royaume du Christ comme jadis la terre d’Israël, levant l’impôt de la rétribution; que, pour le sang versé comme pour tout autre crime, il y a dans ce monde, — quoi qu’il en soit de l’autre, — expiation, mais non pardon. Pensez-y bien... Répondez à loisir... Ceci est une question immense.

« — Je le sais... C’est la grande question de notre époque.

« Le docteur Urquhart avait baissé la tête sans ajouter un mot; à peine s’il aurait pu parler. Je ne l’avais jamais vu sous le coup d’une émotion pareille. Son agitation m’arracha tout à coup à cette timidité qui m’empêche d’ordinaire d’élever la voix quand on traite certains sujets sur lesquels chacun peut réfléchir, mais dont un bien petit nombre a le droit de parler.

« — Je crois, dis-je, qu’en développant par degrés l’instruction départie à ses créatures, un être plus divin que Moïse nous a conduits à une loi plus