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tions, qu’il n’oserait peut-être, alors même qu’il aurait l’espoir d’être accepté par Hope, l’associer au partage de tant de dévouement.

Le grand intérêt du livre est justement dans le développement mystérieux de cette passion, sans cesse contrariée, et dont celle qui en est l’objet n’aura que bien plus tard la révélation inattendue. Hope Ansted, secrètement aimée de son tuteur, inspire aussi une vive passion à un jeune noble irlandais de mœurs très légères, qui sous divers noms, promène de ville en ville son élégance séductrice, sa vivacité spirituelle, ses enthousiasmes faciles et passagers. Il a déjà sur la conscience la perte d’une pauvre fille des Highlands, Rachel Armstrong, dont il a fasciné l’esprit crédule et trompé la loyauté par un mariage à la validité duquel elle a tout lieu de croire, mais dont les preuves lui ont été adroitement soustraites. Hope Ansted, enlevée par son père à la surveillance de Ninian Grœme, est exposée, presque sans défense, aux entreprises de cet habile et opulent libertin. Nul doute que, moins protégée par sa pureté native, elle ne succombât à son tour. Ne pouvant triompher de ses résistances à moindre prix, Ulverston finit pourtant par l’épouser, elle aussi. Cette fois il se prend à son propre piège. Il se croyait libre, et devient, aux yeux de la loi, passible des peines sévères que provoque la bigamie. Hope Ansted, qu’il regardait comme sa femme, et qui du reste ne l’a épousé que par dévouement filial, se trouve un beau jour sans état légal, mère d’un enfant illégitime. La vraie mistress Ulverston est cette Rachel Armstrong, que le désespoir avait d’abord rendue folle, et qui depuis, revenue à la raison, a cherché l’oubli de ses longs chagrins dans le culte des arts. Sous un nom d’emprunt, elle est devenue une des célébrités dramatiques de l’Angleterre... Après cette fatale découverte, Hope se réfugie, colombe effarouchée, dans le sein de la famille où s’écoulait naguère son heureuse enfance. Les bras de « son frère » Ninian lui sont ouverts.. Elle s’y précipite comme dans le plus sûr abri qu’elle ait au monde. Une nouvelle ère de souffrance, — alors qu’il croyait épuisée la longue série de ses sacrifices, — va recommencer pour le généreux Grœme. Cet amour, violemment refoulé jadis et sur les flammes duquel plusieurs années de séparation avaient amoncelé leurs froides cendres, cet amour renaîtra sans doute. Il faudra combattre, lutter encore, alors que le chef de famille a pu espérer, ses sœurs établies, ses frères devenus hommes, que le temps du repos était enfin, arrivé pour lui.

Appréhensions heureusement vaines : Ulverston, menacé par Rachel d’un procès scandaleux, veut s’y soustraire en quittant l’Angleterre. Au moment de s’embarquer, il tombe dans la mer du haut d’une jetée en construction, et meurt à la suite de cette noyade incomplète dans les bras de Rachel Armstrong, jusqu’alors impla-