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lons ce qu’est l’hyldemoer ou le kong-tolv[1]. Son esprit voyageur aime aussi la Grèce fabuleuse et les rites les plus antiques du culte hellénique. Tel de ses récits (Erotion) nous fait assister aux fêtes mystérieuses, de Diane Triformis, telles qu’on les célébrait dans ce temple de Tauride où Iphigénie, fille d’Agamemnon, remplissait les fonctions de grande-prêtresse. Un instant après, nous sommes à Rome, sous Dioclétien, et parmi les martyrs de la foi chrétienne. Cleomenes the Greck est comme une variante de la Fabiola du cardinal Wiseman. L’auteur de cette pâle réminiscence des Martyrs est plus savant peut-être, mais miss Mulock est plus pathétique. The Rosicrucian nous transporte en pleine Allemagne du moyen âge, à Cologne, dans ces sombres laboratoires où, après la mort de Christian Rosencreutz, ses disciples enfermèrent les secrets de leur secte, révélés en fin de compte, cent vingt ans plus tard, par l’alchimiste Michel Meyer[2]. Ces brusques transitions d’un temps à un autre temps, ces voyages d’une mythologie à une autre mythologie, ne laissent pas, comme on pense, d’engendrer quelque fatigue, et l’esprit se lasse promptement de ces caprices d’une imagination fervente que trop d’études diverses semblent surexciter. On s’en aperçoit au plaisir singulier qu’on éprouve lorsque, tout au bout de ce volume, où beaucoup de talent, de style et de consciencieux travail a été assez inutilement prodigué, on rencontre une simple fantaisie dans le genre des Chrismas-Tales de Dickens. Il semble que l’auteur, au contact du sol natal et par cela seul qu’il traite un sujet contemporain, retrouve tout à coup sa force, comme le lutteur antique. Par l’effet de sa juxtaposition peut-être autant que par son mérite, A Life Episode brille d’un éclat singulier dans ce recueil, où il semble avoir été admis à regret.

En homme, le premier venu, — donnons-lui, pour qu’il en ait un, le nom de Tristan, — s’achemine un beau soir de juin à travers les rues de Londres, du côté de la Serpentine, cette petite rivière en miniature si connue des promeneurs de Hyde-Park. Le soleil vient (le disparaître à l’horizon. Quelques pêcheurs obstinés continuent à laisser tomber leurs lignes. Du haut de l’unique pont jeté sur ce petit affluent de la Tamise, Tristan, qui affecte les allures de la flânerie désintéressée, les contemple avec une singulière attention. Son regard ne quitte pas la surface moirée et miroitante des flots que plisse la brise; mais sa pensée accompagne et suit la ligne jusqu’au fond de l’eau. — Qu’y a-t-il là? se demande-t-elle. — Du repos, se

  1. L’hykdelier est un lutin danois qu’on suppose habiter l’intérieur du sureau. Le kong-tolv (roi-douze) est un des génies couronnes (elle-kings) qui se partagent le royaume des fées, connu sous le nom de Zealand.
  2. Dans le livre intitulé Themis Aurea, publié en 1615.