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livré aux aventures de la publicité. Si cette redoutable épreuve est subie sans trop d’insuccès, quelle joie, quel enivrement, quelle ambition! A côté de l’inspiration littéraire, à côté du démon poétique, le génie industriel, — un génie anglo-saxon, — vient alors essayer ses ailes; c’est, après tout, le génie protecteur du foyer domestique, le génie allemand qui habite la mine d’or, un Ariel qui bat monnaie, un aimable lutin qui, par des procédés magiques, transforme en un paquet de bank-notes quelques ramettes de cream-laid barbouillées de menus caractères, et dont l’épicier du coin ne donnerait pas six pence, — après les avoir pesées, bien entendu. La jeune miss se sent doublement rehaussée à ses propres yeux, et par la conscience de son talent, et par le rôle nouveau qu’il lui assigne. Elle était moins qu’une simple femme, elle est un vaillant et productif ouvrier. Elle a une profession lucrative; elle représente un capital considérable. Elle vaut, comme disent les Anglais, elle vaut (she is worth) tant de livres sterling par an. Étonnez-vous de sa joie, étonnez-vous de son triomphe, étonnez-vous que d’autres aspirent à un triomphe pareil !

Nous n’avons pas prétendu, — on le croira sans peine, — raconter ainsi sous forme purement hypothétique la biographie de miss Mulock; mais ce que nous voulions expliquer dès le début de cette étude, c’est le nombre toujours croissant, chez nos voisins, des jeunes filles qui se pressent sur les traces de miss Edgeworth et de miss Burney : deux grands noms d’autrefois, dont le second résiste moins que le premier à la dure épreuve du temps. Et maintenant nous allons avoir à rechercher, — ce qui ne sera peut-être ni sans intérêt ni sans profit, — quel caractère particulier revêt cette littérature spéciale, — la littérature du home, du coin du feu, de la table à thé, — quel est son idéal, quels sont ses héros, ses tendances et sa portée.


I.

Il nous semble, sans avoir vérifié le fait, que miss Mulock a dû préluder à ses romans par les deux séries de contes romantiques et d’histoires domestiques qu’on réédite en ce moment. Ses Romantic Tales sont des compositions de courte haleine, mais fort étudiées, où se révèle un goût marqué pour les poésies légendaires du nord et du midi de l’Europe. Ce serait chez nous chose assez extraordinaire qu’une jeune fille arrangeant en prose poétique une visa danoise, et nous initiant aux mythes de la théogonie norse. Ces excursions dans le passé le plus lointain et dans les régions les moins connues sont familières à miss Mulock. Elle nous dira, si nous vou-