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tapis qui éteignent le bruit des pas, partout des rideaux qui éteignent l’éclat du jour. La houille flambe dans la grille d’acier poli, la bouilloire chante près de l’âtre incandescent. La religion du bien-être a là ses commandemens très absolus, très obéis. La femme et les filles, — quatre ou cinq belles jeunes personnes, — en sont les prêtresses assidues et laborieuses. Le joug leur pèse à peine et leur laisse une belle close d’indépendance. La «librairie circulante » pourvoit à l’emploi des heures de loisir; deux fois par mois, plus souvent même, elle envoie sur ce guéridon encombré de fleurs une vingtaine de ces beaux volumes gaufrés et dorés qui font honte à la parcimonie des éditeurs du continent. Entre le chapitre de la Bible qu’on a lu le matin et le sermon qu’on lira le soir, Charles Dickens, Thackeray, E. Bulwer, Samuel Warren, Anthony Trollope, Charles Kingsley, ont leur place, et ils se la font plus considérable que ne la voudraient les grands parens, toujours un peu inquiets de ces intrus, plus ou moins périlleux. Placez dans de telles conditions une conception vive, une intelligence active et curieuse, une jeune âme vibrant aux moindres souffles venus du beau pays des rêves : il est aisé de prévoir ce qui arrivera. Ce nid charmant est très exactement clos, songez-y. Nous sommes en province. Les garçons de la famille sont dispersés au loin et n’amènent pas d’amis. Un jeune homme étranger, et qu’on pourrait supposer dangereux, pénétrerait aussi bien derrière les estacades du Pei-ho que derrière les haies épineuses qui servent de remparts à cet enclos verdoyant et fleuri. D’ailleurs les don Juan sont rares chez nos voisins, et Chérubin, en Angleterre, a juré les trente-neuf articles de la liturgie avant d’être reçu à Oxford ou à Cambridge. Que vont devenir les songes de la jolie recluse? à quoi se prendra sa fantaisie ailée, qui, comme l’alouette en cage, dévore l’espace étroit? Cette question n’a pas besoin de réponse pour qui sait combien de papier azuré, combien d’ultra fine steel pens, combien de faveurs blanches ou roses se consomment dans un intérieur comme celui que nous venons de décrire.

Du petit bureau où se dissimulent timidement les premières compositions d’une jeune fille, — Dieu sait avec quelle émotion, quel tremblement et dans quel profond secret elles furent commises! — par quel miracle arrivent-elles au grand jour? Ceci est le secret ou d’un père orgueilleux, ou d’une mère économe, ou d’un vieil ami bien avisé qui « a des relations à Londres, » et qui sait qu’une cinquantaine de guinées ne seront point mal venues, — tout au contraire, — dans le trésor sagement administré, mais parfois insuffisant, où ce petit monde puise sa vie de chaque jour. De manière ou d’autre, un premier oiseau prend son vol, un premier manuscrit est