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La cause de cet antagonisme entre l’intérêt religieux et l’intérêt national, qui trouble le présent et à chaque instant met tout en péril, aurait disparu. La papauté gagnerait à cet événement d’être affranchie de ce mélange de scrupules et de craintes qui l’a liée à une grande puissance catholique repoussée par le sentiment national, et pourrait recouvrer la confiance de l’Italie. La cause italienne y gagnerait, outre la conquête définitive de l’indépendance, cette liberté d’esprit et d’action vis-à-vis de la papauté qui lui permettrait, dans ses rapports avec cette grande institution religieuse et politique, de ménager les intérêts et les vœux du monde catholique. Nous ne le dissimulons point, tant que l’Autriche occupera la Vénétie, il n’y a rien de sérieux à tenter ni à espérer du côté d’une réconciliation si désirable. Il y a lieu de craindre au contraire de nouveaux chocs entre la papauté et la cause nationale. On ne fait que traduire littéralement la situation où va entrer la péninsule en disant que l’annexion est comme un grand effort politique et militaire par lequel l’Italie se prépare à une nouvelle et suprême lutte avec l’Autriche. C’est la perspective de cette lutte qui est la raison de l’unité politique à laquelle va s’essayer l’Italie du nord et du centre ; c’est par les apprêts et l’attente de cette lutte que se formera et se cimentera la nouvelle union. Quand éclatera-t-elle ? Nous n’avons pas la prétention de le savoir. Il est possible et nous souhaitons que le royaume de l’Italie supérieure veuille s’assimiler fortement les diverses parties qui vont le composer avant de tenter de nouvelles entreprises ; mais mille incidens peuvent tromper et brusquer, au milieu d’élémens si inflammables, les intentions des politiques et précipiter le choc. En tout cas, tant que durera la trêve entre l’Autriche et l’Italie, il faut s’attendre à ne pas voir cesser les hostilités périlleuses entre l’Italie libérale et la papauté. Le mouvement italien, obligé de se détourner de son objectif naturel, qui est l’Autriche, réagira fatalement contre les alliés supposés ou réels de l’Autriche dans la péninsule, et semble destiné à se porter contre le pouvoir temporel de la papauté. C’est là le plus grand danger actuel de l’Italie, car, par le trouble qu’il entretient dans le catholicisme, il l’expose à de redoutables diversions. La gravité même de ce péril redouble l’intérêt que nous portons à la cause italienne. Jamais peuple n’a eu à remplir encore une tâche aussi lourde ; jamais peuple n’a vu ainsi s’ajouter contre lui aux labeurs d’une lutte pour l’indépendance la nécessité de soulever sans l’ébranler la plus puissante organisation religieuse qui ait existé sur la terre. La considération de ce péril doit être toujours présente à l’esprit des chefs du mouvement italien. Qu’ils contiennent les entraînemens de leur parti contre Rome, qu’ils évitent de porter de nouveaux coups au pouvoir pontifical, qu’ils ne tombent point dans la faute d’entamer avec la cour romaine des polémiques oiseuses, et de fournir la réplique à des encycliques de la nature de celle que le pape vient de publier. Il est toujours inutile, il est souvent dangereux d’entamer des controverses et d’entreprendre des duels de principes avec le chef spirituel de tant de millions d’âmes, et de mettre à travers le monde les consciences de la partie, lorsque les intérêts politiques devraient seuls être en jeu. Que les hommes d’état italiens s’efforcent, pour la faire bien, de ne faire qu’une chose à la fois, et ne donnent pas à leurs ennemis, qui les y poussent, le change d’une révolution religieuse contre une lutte d’indépendance