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officieuse ont ému le patriotisme savoisien, et ont provoqué des démonstrations dont la signification n’est plus contestable. Les Savoisiens veulent conserver leur histoire et leurs institutions libérales. Ce n’est pas au moment où ils peuvent revendiquer une si large part de gloire dans la fortune de la maison de Savoie qu’ils veulent « se plonger et disparaître, suivant le mot d’une proclamation populaire, dans le gouffre d’une grande nation centralisée ; ils ne veulent pas échanger les larges libertés du statut contre les institutions restrictives sous lesquelles nous ont amenés nos vicissitudes révolutionnaires. » Ils viennent à Chambéry de donner une expression touchante à ces sentimens. Trois mille hommes, sur une population de dix-sept à dix-huit mille habitans, s’étaient réunis, malgré une neige épaisse, sur le Champ-de-Mars de la vieille capitale, conduits par une députation dont un des citoyens qui ont obtenu le plus de voix aux dernières élections communales, M. Marc Burdin, avait accepté la présidence ; cette foule se rendit silencieuse et calme devant le château. La députation fut reçue par le gouverneur, M. le marquis Orso Serra. « Nous déclarons, disait l’adresse lue par le conseiller communal, notre volonté de continuer à faire partie intégrante des états de la maison de Savoie, à laquelle notre terre a servi de berceau, et dont nos pères ont suivi pendant huit siècles les glorieuses destinées… Nous sommes résolus à rester libres sous le statut constitutionnel que Charles-Albert le magnanime a donné à la nation. Nous sommes convaincus qu’entre notre auguste monarque et nous tous les liens ne peuvent être que noblement réciproques, et nous serons heureux d’en obtenir l’assurance. » Ce loyal langage a reçu la réponse qu’il méritait. M. Orso Serra donna connaissance à la députation d’une dépêche ministérielle reçue le jour même : elle disait que « le gouvernement n’avait jamais eu l’intention de céder la Savoie, et que quant au parti qui avait levé le drapeau de la séparation, l’on n’avait pas même à lui répondre. » Le président de la députation vint rendre compte au peuple de sa mission, et la foule répondit par les cris prolongés de vive le roi ! vive la constitution ! vive la Savoie ! L’on voit donc que la situation actuelle est loin de présenter les conditions qui permettraient à la France de souhaiter et d’accepter l’annexion de la Savoie.

Parmi les difficultés avec lesquelles il va se trouver aux prises, nous sommes sûrs que celle qui doit le plus préoccuper un homme de l’esprit de M. de Cavour est la difficulté romaine. L’œuvre de l’indépendance de l’Italie aujourd’hui comme avant la guerre rencontre encore les deux mêmes obstacles : l’Autriche et Rome. À vrai dire, la difficulté romaine est la conséquence de la présence des Autrichiens en Italie ; la plupart des fautes commises en ce siècle par les souverains pontifes dans le gouvernement de leurs états ont été le résultat à peu près inévitable de la situation occupée par les Autrichiens dans la péninsule. Il faut, sinon excuser, du moins expliquer ces fautes par l’embarras où se trouvait la papauté, soupçonnée de prêter appui à l’ennemi de l’indépendance nationale, et entraînée, par la défiance même qu’elle inspirait, à se soumettre chaque jour davantage à l’influence autrichienne. C’était une fatalité de situation. L’on peut dire que le plus grand service qu’il soit possible de rendre à la papauté serait d’obtenir l’entière exclusion de l’Autriche des territoires italiens. Un funeste malentendu cesserait alors du même coup et au sein de l’église et en Italie.