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politique le nom de M. de Cavour. Celui-ci accepta la mission, mais à une condition : c’est que le parlement sarde serait convoqué pour le mois de mars. Le ministère ne voulut pas se rendre à cette intelligente et patriotique exigence, et chercha un prétexte dans les prescriptions textuelles de la loi électorale. Cette loi veut que les listes électorales soient dressées par la nouvelle giunta municipale. La giunta devant être présidée par le maire, et les nominations des 6,000 nouveaux maires (sindaci) devant entraîner beaucoup de longueurs, il s’ensuivait, d’après le ministère, que les élections n’étaient pas possibles dans le courant de mars. M. de Cavour proposait une large interprétation de la loi électorale, et indiquait un expédient qui permettait de se passer du concours des maires pour la formation des listes. Un article de la loi dit en effet qu’à défaut du maire, ses fonctions seront exercées par un membre délégué du conseil communal. Dans le système de M. de Cavour, les élections étaient possibles en mars ; dans le système ministériel, elles étaient renvoyées jusqu’après la nomination des maires, c’est-à-dire condamnées à un long ajournement. Le ministère ayant repoussé l’interprétation de M. de Cavour, celui-ci déclina la mission qui lui était offerte et quitta Turin. Le cabinet Ratazzi succomba à cette épreuve et donna sa démission.

Nous n’avons pas à nous arrêter longuement sur les collègues que s’est choisis M. de Cavour. Le nouveau ministre de la guerre, le général Fanti, est assez connu. Le ministre de l’instruction publique, M. Mamiani, est une des illustrations littéraires de l’Italie. Appartenant à une des plus nobles et des plus anciennes familles des états pontificaux, il fut en 1848 ministre du pape Pie IX. Naturalisé sarde depuis longtemps, il était député au parlement piémontais et professeur de philosophie de l’histoire à l’université de Turin. Poète et philosophe distingué, il apportait à la tribune piémontaise cette éloquence littéraire qui n’est point sans doute l’instrument le plus utile du régime parlementaire, mais qui en est assurément une des plus nobles décorations. Le ministre de la justice, M. Cassinis, est un des membres les plus érainens et les plus considérés du barreau piémontais : il était député et appartient, comme M. Mamiani, à l’ancienne majorité parlementaire. M. Vegezzi, le nouveau ministre des finances, avait quitté depuis peu le barreau, où il occupait la première place, pour entrer à la cour de cassation. Depuis la translation de cette cour à Milan, il avait accepté une des directions du ministère des finances. Sa tâche sera difficile sans doute, mais il l’entreprend avec une réputation méritée de talent, d’application et d’honnêteté. M. Jacini, Milanais, jeune encore a donné sur la Lombardie d’intéressantes études économiques qui l’avaient fait connaître au dehors, et à l’occasion desquelles le chancelier de l’échiquier actuel, M. Gladstone, publiait, il y a un an, un admirable article dans le Quarterly Review. M. Jacini, à qui les finances étaient destinées, a préféré les travaux publics.

On sait avec quelle confiance et quel redoublement de résolution sérieuse le retour de M. de Cavour au pouvoir a été accueilli en Italie. Tout le monde a senti, en Italie comme en Europe, que l’œuvre nécessaire et prompte du nouveau ministère de M. de Cavour devait être l’annexion : l’œuvre nécessaire, disons-nous, car il n’y a pas d’autre solution possible, pas de milieu entre l’annexion ou les restaurations : un royaume de l’Italie centrale, com-