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bien définie était à moitié résolue. C’est à bien définir le problème des tarifs de chemins de fer que je me suis attaché. Je n’ai point eu d’autre prétention. L’exposer avec impartialité, avec précision, telle est la seule tâche que puisse se proposer l’écrivain; le résoudre dans les limites du possible, quant à la conciliation délicate des intérêts mis en présence, cela n’appartient en France qu’au gouvernement. C’est à lui en effet que la loi a confié la lourde tâche de maintenir l’équilibre entre ces intérêts opposés, au moyen de l’homologation administrative des modifications de tarifs.

En résumé, il y a lutte entre des individualités parfaitement libres dans leurs allures et une compagnie gênée dans sa marche à raison même des privilèges que lui a conférés la concession. La réduction des tarifs est une condition vitale de l’industrie des chemins de fer, qui doit développer son trafic en attirant à elle celui de ses concurrens. Cette réduction ne jettera-t-elle aucune perturbation dans le système général des relations industrielles et commerciales? C’est peu probable. Anéantira-t-elle la navigation? Là est la question. Les tarifs d’abonnement et les tarifs différentiels sont parfaitement distincts; mais ils se combinent souvent, et partagent d’ailleurs le privilège d’être l’objet des plus vives attaques de la part des défenseurs de la navigation. — Quant à la condition de l’abonnement, elle était destinée à disparaître, sans préjudice pour les compagnies de chemins de fer. En effet, bien que la bonne foi soit l’âme du commerce, il est permis de supposer que les abonnés et les non abonnés s’entendaient pour se procurer mutuellement l’usage des voies ferrées ou des voies navigables, suivant les fluctuations des tarifs sur les unes ou les autres, et il était difficile, pour les compagnies de chemins de fer, de s’opposer efficacement à l’existence de cette fraude. L’administration y gagnera de ne plus même avoir l’apparence de protéger les chemins de fer au détriment de la navigation. — Restent les tarifs différentiels, qui doivent subsister et subsisteront toujours.

Tel est, esquissé à grands traits, l’état actuel de la question des tarifs de chemins de fer. On peut regretter que l’intérêt individuel se trouve sacrifié dans le développement laborieux de l’agent le plus énergique de la civilisation moderne; mais n’est-ce pas l’intérêt collectif qui doit prédominer? De tels froissemens sont inévitables, et notre temps surtout doit y être préparé. Il en est de tout progrès comme de certaines victoires, glorieuses, mais achetées au prix de pertes cruelles : l’industrie, elle aussi, est un combat.


E. LAME-FLEURY.