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compensation d’une réduction notable de prix. En se plaçant au point de vue des compagnies de chemins de fer considérées comme entreprises de transport spéciales, on ne peut trouver injuste qu’elles cherchent à s’assurer à l’avance la quantité considérable de marchandises qui leur est nécessaire pour utiliser l’énorme matériel qu’elles sont obligées d’entretenir, sous peine d’être prises au dépourvu dans une circonstance donnée. Chacun doit comprendre qu’il ne leur est possible d’abaisser leurs tarifs que si elles ont la certitude d’opérer des transports considérables ; chacun sait que le trafic d’un chemin de fer est toujours supérieur dans un sens, et personne ne peut trouver mauvais que, pour le sens où il est inférieur, la compagnie concessionnaire cherche par des moyens loyaux à rétablir un équilibre qui lui permette de ne pas ramener son matériel vide aux principaux points de départ. En résumé, il est impossible de voir en quoi le public commerçant peut être fondé à se plaindre, alors que le tarif d’abonnement n’est point, entre les mains d’une compagnie, une machine de guerre qui doive anéantir une voie de navigation concurrente et permettre ensuite à la compagnie de relever les tarifs primitivement abaissés. Telle est donc la question excessivement délicate qu’il faut aborder.

Le règne de la navigation est-il terminé ? les fleuves navigables, ces routes qui marchent, comme les appelle éloquemment Pascal, les canaux ne sont-ils plus qu’un vieil engin qui doive être impitoyablement mis au rebut ? On répugne à le croire. Un petit écrit, récemment publié[1], porte cette épigraphe séduisante : A la télégraphie électrique les nouvelles et les dépêches, — aux chemins de fer les lettres, les voyageurs et la messagerie, — à la navigation les marchandises lourdes et encombrantes. Nous sommes disposé à penser, comme l’auteur, que ces deux modes de communication ont chacun son utilité propre, ses fonctions spéciales, et qu’il vaudrait mieux sans doute qu’ils fussent respectivement organisés et administrés de manière à se renfermer dans ce qui semble être leur rôle naturel. Toutefois on ne peut, d’une part, théoriquement admettre qu’il soit possible d’attirer sur les chemins de fer un nombre suffisant de voyageurs pour que ce seul élément de trafic procure aux capitaux un intérêt bien supérieur à celui qu’on obtient aujourd’hui[2] ;

  1. D’un Nouveau Système d’exploitation des chemins de fer, par M. H. Peut.
  2. Les compagnies de chemins de fer pourraient facilement provoquer le public à un déplacement bien plus considérable que celui auquel nous assistons : c’est ce qu’on a déjà essayé de prouver dans la Revue en montrant aussi que le produit des marchandises devenait incessamment une fraction de plus en plus importante du produit total (Revue du 1er  octobre 1858, — les Voyageurs et les Chemins de fer en France). Le système de M. Peut, qui, selon l’inventeur, quadruplerait et peut-être même sextuplerait les revenus actuels des chemins de fer, est le suivant : correspondance des réseaux français entre eux à l’instar des lignes d’omnibus de Paris, — suppression des trains de petite vitesse, — institution de cartes d’abonnement délivrées par une compagnie quelconque et donnant le droit de circuler librement sur une section quelconque du réseau général, — fixation à 100 fr. de l’abonnement d’un mois, etc. M. Peut suppose qu’il ne serait pas délivré moins de 2 millions d’abonnemens mensuels, etc. : — revenu brut annuel de 1, 150 millions de francs, triple à lui seul de la recette totale actuelle ! — Avec ce système, dont les avantages seraient nombreux et divers, « le mouvement devient la loi générale et le repos l’exception ! » Il ne manquerait plus qu’un pareil régime à la furia francese.