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paration que M. Villemain lui prépare. Plus d’obstacles préjudiciels, s’il est permis de parler ainsi. Avec notre façon nouvelle de comprendre l’antiquité, quelles préventions, quels préjugés nous reste-t-il contre Pindare? La place est nette; le vieux poète, le vieux dorien peut prendre la parole : il n’excitera pas chez nous, comme autrefois dans son pays, des transports d’enthousiasme, un délire populaire, mais il n’essuiera plus ni le dédain ni même l’indifférence. Le mérite de notre temps, qui n’aime au fond que le plaisir, et se soucie fort peu du beau, c’est de permettre au moins qu’on l’admire. Il ne s’offense pas qu’on ait le goût plus haut placé que lui, et tolère, tout en n’en usant pas, les bons exemples qu’on lui donne. Ainsi l’ordre dorique n’est assurément pas du goût de tout le monde, mais personne ne s’aviserait plus de l’appeler barbare. Il en sera de même pour Pindare : les vrais adorateurs, grâce à son interprète, ne lui manqueront pas, et de plus, dans la foule elle-même, il trouvera certain respect. On lui épargnera les querelles vulgaires sans cesse répétées jusqu’ici, ces éternels reproches de monotonie et de disproportion entre le luxe de ses épisodes et la stérilité de ses sujets : critique superficielle qui se méprend sur l’œuvre qu’elle prétend juger, mêle et confond les temps aussi bien que les lieux, et ne s’aperçoit pas que ce qu’elle reproche à Pindare, c’est en réalité de ne pas ressembler à Horace, de n’être pas lyrique de la même façon, varié dans ses formes, délicat, tempéré, élégamment sceptique et voluptueux. Sans doute il faut aimer Horace, en faire nos délices; mais permettons à Pindare de comprendre autrement son art et sa mission. La monotonie de Pindare, c’est sa grandeur. Autant vaudrait reprocher au psalmiste d’invoquer Dieu sans cesse, de toujours reproduire ces mêmes grandes idées qui marchent et se suivent comme les flots de la mer, toujours semblables et toujours variées par une inépuisable fécondité d’images. C’est là ce qu’on appelle la monotonie de Pindare. Lui aussi, il invoque ses dieux, il leur parle sans cesse, non pas, comme le poète de Tibur, quand la cadence le commande, pour bien commencer sa strophe ou pour la bien finir, mais quand la foi l’ordonne. Oublie-t-on qu’il n’est pas poète dans le sens moderne de ce mot, mais poète et prêtre tout ensemble, prêtre de Delphes et d’Apollon? Les vers pour lui sont des prédications, un ministère, un sacerdoce. Et quant aux épisodes qui semblent dominer et même étouffer ses sujets, quoi d’étonnant? Ses vrais sujets, ce sont ses épisodes. Ce jeune athlète dont il célèbre la victoire, dont il dira brièvement l’agilité, la vigueur, le courage, qu’est-il pour lui? Un prétexte à chanter de plus nobles et de plus grandes choses. Il n’eut jamais dessein de raconter sa vie, de faire un poème en son honneur. Ce que vous prenez pour son