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chez les traducteurs à cacher ces aspérités, tantôt sous d’amples paraphrases, tantôt avec la lime, en retranchant et en arrondissant!

Ainsi, en poésie comme en architecture, comme en tous les arts du dessin, la véritable Grèce et ses primitives beautés ne furent chez nous, dans les trois derniers siècles, qu’imparfaitement comprises. Si à Rome, du temps d’Auguste, on ne comprenait plus l’esprit du Parthénon, s’il semblait suranné, hors de mode; si les raffinemens de la critique alexandrine avaient faussé le goût même en architecture, et substitué au véritable art grec un art de convention, comment en France, sous Louis XIV, vouliez-vous que Pindare fût encore en faveur? Le meilleur helléniste n’y voyait que du feu. Racine assurément savait le grec autant qu’homme de France; il le savait en érudit et le devinait en poète; Athénien lui-même en quelque sorte, passant sa vie au théâtre d’Athènes, qu’a-t-il vraiment compris de ces trois grands tragiques, et qu’a-t-il pu leur emprunter? Quelques scènes, quelques passages, et encore au moins Grec, au moins ancien des trois. Celui-là même, cet Euripide, son inspirateur, son poète, dès qu’il s’écarte un peu du cercle des idées communes à tout le genre humain pour rentrer franchement sur son sol hellénique, dès qu’il s’adresse aux passions, aux souvenirs, aux préjugés de ses concitoyens et fait luire sur ses personnages les vrais rayons du ciel attique, aussitôt, on le sent, il déroute le génie de Racine, il échappe à sa pénétration. Ce n’est pas seulement par égard pour les courtisans et par peur des marquis que notre poète a, transformé et affadi son Hippolyte, c’est avant tout faute d’avoir senti, comme il savait sentir, à suave grandeur, l’héroïque pureté, l’idéal et mystérieux amour de l’Hippolyte d’Euripide. «Racine! s’écrie M. Villemain avec un doux reproche, comment n’avoir pas fait passer dans votre admirable langage cette belle et tendre invocation que le jeune héros, à son entrée en scène, au milieu de ses joyeux amis, adresse à Diane, à sa déesse favorite, à sa reine chérie? Pourquoi ce discours d’un gouverneur de prince, au lieu du souvenir de cette invisible et divine maîtresse, dont l’innocent Hippolyte croit entendre la voix dans le silence des forêts? » On le voit donc, même chez Euripide, il y a des traits d’une simplicité encore trop primitive pour être savourés par Racine, des beautés devant lesquelles il passe sans qu’elles se révèlent à lui; qu’était-ce donc chez Sophocle, ce peintre de caractères, ce poêle citoyen, dont tous les vers sont des médailles frappées au vrai coin de la Grèce? Et quant au vieil Eschyle, au religieux et lyrique Eschyle, Racine a soin de nous l’apprendre, il n’essayait pas même de l’entendre, et des sept tragédies, seul débris de cette immense