Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grecque fut acceptée sans conteste. Qui l’aurait contrôlée? Qui aurait pu prévoir qu’un jour, en parcourant la Grèce, nous verrions ce législateur, neuf fois sur dix, démenti par les monumens ? Homme de science et architecte, placé pour tout bien voir, froid, sensé, méthodique, comment son témoignage n’aurait-il pas fait foi ? Il fut cru sur parole, et pendant trois cents ans, au lieu d’un art plein d’imprévu, d’audace et de liberté, respectant, il est vrai, certaines grandes lois éternelles, mais n’enchaînant jamais l’imagination, il nous fit accueillir et cultiver dans nos écoles, sous ce grand nom d’architecture grecque, un système à la fois timide et inflexible, où de nobles et sages préceptes semblent comme enfouis sous de mesquines prescriptions.

Eh bien ! la poésie grecque n’a-t-elle pas eu ses Vitruves aussi? non pas faute de monumens, car ici ce n’est plus ni de pierre ni de marbre qu’il s’agit. Les manuscrits ne tiennent point au sol, ils pouvaient fuir, échapper aux barbares, et nous en recueillîmes d’admirables débris. La main des copistes d’abord, bientôt après l’imprimerie les multiplièrent par milliers, puis d’érudits interprètes se chargèrent de les mettre à la portée de tous. On devait espérer que le génie des Grecs serait chez nous plus heureux en poésie qu’en architecture, que nous saurions comprendre non pas seulement leurs vers, mais leur manière de les sentir, accepter leurs jugemens, adopter leurs préférences et respecter la hiérarchie de leurs admirations. Il n’en fut rien. Nous admirâmes, mais tout autrement qu’eux. Cette impartialité qui nous fait aujourd’hui comme sortir de nous-mêmes pour juger une ancienne œuvre d’art, cette façon de franchir les siècles, de nous unir à l’artiste, de partager pour un moment ses passions, ses préjugés, même son ignorance, c’est quelque chose de tout à fait moderne. Nos pères n’ont rien connu de tel; ils ne prenaient pas tant de peine. Dans la poésie grecque, ils ne virent, ils n’admirèrent sincèrement que ce qui se rapprochait plus ou moins de leurs propres idées, de leurs goûts, de leurs habitudes. Une heureuse et savante expression de sentimens à peine antiques, c’est-à-dire de ces sentimens qui sont de tous les temps et de tous les climats, révélations vivantes, mais générales, de la nature humaine, fonds commun obligé de toute poésie, voilà ce qui les charma, ce qui leur sembla la véritable gloire de la lyre hellénique. Tout ce qui s’écartait au contraire de cette perfection tempérée, de ces beautés un peu banales, tout ce qui laissait voir un aspect insolite, un certain air d’audace, certains angles aigus et fièrement taillés, leur devint un sujet de trouble et de scandale; c’étaient pour eux les grossiers rudimens d’un art à son enfance, et comme on dissimule les fautes d’un ami, ils cherchèrent à n’en rien laisser voir. Aussi quel soin