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par l’attrait d’un brillant frontispice. Le génie de ce grand poète est chez nous dans un tel abandon ! C’est une réparation que M. Villemain lui prépare. Aussi gourmande-t-il notre longue tiédeur. Boileau lui-même, dit-il, tout en rompant en l’honneur de Pindare des lances contre Perrault, le connaissait-il bien ? le goûtait-il vraiment ? l’admirait-il autrement qu’en paroles, autrement que de parti-pris et par dévote fidélité au culte des anciens ? l’avait-il même lu tout entier ? En citant seulement quatre vers des Isthmiques, n’aurait-il pas clos la bouche à Perrault, et vidé sans débat une de leurs querelles sur Homère ? Ces quatre vers, et bien d’autres peut-être, lui avaient donc échappé ? Et quelle meilleure preuve d’une imparfaite intelligence de cette haute poésie que l’innocente bonne foi avec laquelle il s’imagine avoir imité Pindare dans son ode sur la prise de Namur ? Quant à Voltaire, c’est autre chose : il ne prend pas la peine de simuler l’admiration, et ne voit dans le grand lyrique, dans cet inintelligible et boursouflé Thébain, comme il l’appelle, qu’un chantre de combats à coups de poing, premier violon du roi de Sicile. M. Villemain n’a donc pas tort, nous devons à Pindare une réparation.

Mais d’où vient que nous l’avons ainsi négligé et presque méconnu ? Je mets de côté Voltaire ; son siècle et lui se sont moqués de tant de nobles choses que ce serait merveille s’ils avaient pris Pindare au sérieux. Je ne m’étonne que du XVIIe siècle restant froid, réservé, insensible à ce genre de beautés. Est-il donc dans l’antiquité un plus grand nom que le nom de Pindare ? Sa gloire, dans le monde ancien, ne s’est-elle pas perpétuée d’âge en âge, toujours incontestée et toujours renaissante ? À Rome aussi bien qu’à Athènes, il marche au même rang qu’Homère ; Horace est à genoux devant lui, et non pas en flatteur, comme devant Auguste et Mécène, mais en disciple sincère et convaincu. Comment, encore un coup, nos lettrés du grand siècle, accoutumés à tenir compte des jugemens de l’antiquité, à modeler leurs goûts sur son exemple, ont-ils passé devant cette figure de Pindare sans lui donner un regard, sans lui brûler un grain d’encens ? Je reconnais que l’abbé Massieu, Lamothe-Houdard, et autres de même taille, l’ont honoré de leurs imitations et de leurs paraphrases ; mais nos vrais écrivains, nos vrais poètes, quel hommage lui ont-ils rendu, quels emprunts lui ont-ils faits ? Les Olympiques, les Pythiques, les Isthmiques, les Néméennes, ces quatre grands débris, incomplets, mutilés, mais splendides encore, pour eux ne sont que d’incultes ruines qu’ils ont à peine parcourues sans y rien admirer, sans en rien retenir : étrange indifférence !

Était-ce donc la grandeur de l’hymne, l’audace du dithyrambe, l’accent lyrique, en un mot, que nous étions alors hors d’état de