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que cette matière inerte et inintelligente qui sera la proie des vers et se décomposera en une poudre imperceptible; mais le principe mystérieux qui nous anime, il intervient aussi bien dans les actes de la veille que dans ceux du sommeil, soit cataleptique, soit magnétique. Bien plus, dans ce dernier état, l’âme devient davantage le jouet de l’imagination et des sens, puisque la volonté est passive. Notre esprit subit forcément l’influence des images que font naître les mouvemens spontanés de la fibre cérébrale ou nerveuse. Nous rentrons jusqu’à un certain point par le sommeil dans la vie instinctive, insciente d’elle-même, qui est celle des animaux. La raison, cette conquête sublime de l’expérience, ce produit achevé du jugement, nous échappe alors ou ne nous envoie quelque lueur que pour nous jeter dans l’incertitude sur le véritable caractère des visions qui nous possèdent. Enfin notre personne perd le sentiment de son identité, l’une des plus fortes preuves que le moi est distinct d’un organisme sans cesse renouvelé et transformé, car au réveil le somnambule et parfois le songeur oublient tout, et il leur semble qu’un autre individu a dit et fait tout ce qu’on leur rapporte d’eux-mêmes.

Ce n’est donc pas dans ces états étranges où l’homme redevient un être instinctif, une sorte d’automate, que Dieu, la raison suprême et éternelle, se révèle à nous, car à ce compte l’animal serait plus près que l’homme de la Divinité. Il faut chercher autre chose dans le somnambulisme. Ce phénomène nous instruit de certains rapports étroits de l’organisme et de l’intelligence, de certains moyens de mettre à découvert la toute-puissance d’une économie troublée et malade sur l’imagination, qui demande au corps les élémens de ses créations quand l’esprit cesse de les lui fournir par sa régulière et externe activité. Le magnétisme animal est aussi un moyen de rendre au système nerveux un ton qui lui manque ou de calmer une surexcitation qui l’épuisé. Il a été employé par bien des médecins comme moyen curatif dans des affections névropathiques pour lesquelles la thérapeutique ordinaire était impuissante. Il a procuré des soulagemens à l’excès de la douleur, et un sommeil réparateur après des crises prolongées; il a suppléé en quelques cas à l’emploi des anesthésiques. Ce sont là autant de titres à notre reconnaissance.

Éclairer l’homme sur la nature des ressorts auxquels obéit son organisme, adoucir ses souffrances, voilà assurément des vertus que bien des philosophies n’ont pas, et dont bien des sciences se font honneur. Elles commandent pour le magnétisme animal autre chose que ce dédain indifférent que l’on affiche pour les charlatans, mais qui ne saurait se justifier, dès que des hommes sérieux et honnêtes viennent nous soumettre des faits dont l’étude les a depuis longtemps occupés.


ALFRED MAURY.