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Le somnambule naturel rêve en action : il marche, il agit, il converse sous l’empire du songe qui l’occupe, et dans lequel les sensations externes, comme dans plusieurs rêves ordinaires, interviennent à titre d’élémens générateurs. Somnambules et hystériques, cataleptiques et extatiques, ont tous leurs visions ou leurs songes, reflets plus ou moins complets de leurs sensations et de leurs idées. Le même phénomène se produit dans l’emploi des anesthésiques ; les personnes soumises à l’éthérisation ont presque toujours des rêves qui sont liés à l’état physiologique ou pathologique dans lequel elles se trouvent. Lors des premières expériences qui furent tentées en France sur les inhalations éthériques, un célèbre chirurgien, M. Laugier, ayant fait respirer à une jeune de fille de dix-sept ans, qu’il devait amputer de la cuisse, un mélange d’air et de vapeur d’éther, cette jeune fille, d’un esprit évidemment mystique, tomba dans une véritable extase. Réveillée après l’opération, elle se plaignit d’être revenue parmi les hommes, et rapporta que pendant son sommeil elle avait vu Dieu et les anges. Il n’est pas jusqu’aux animaux qui n’éprouvent le même effet, et le docteur Sandras a remarqué que des chiens auxquels il avait fait respirer du chloroforme poussaient des cris et faisaient des gestes indiquant clairement qu’ils étaient tourmentés par des songes ou une sorte de délire. Plus récemment, l’emploi de l’amylène a donné lieu aux mêmes observations. Des jeunes filles traitées par le docteur Robert furent prises d’un délire singulier, accompagné de cris, de rires et de sanglots. On connaît d’ailleurs les visions extatiques que procurent l’opium et le hachisch.

Il est donc tout naturel que le somnambulisme artificiel, qui amène un état nerveux analogue à celui qui s’observe dans l’hystérie, la catalepsie, le somnambulisme naturel, et par suite dans l’inhalation des anesthésiques, reproduise des effets du même genre. Aussi n’y a-t-il rien de merveilleux dans ce qu’on a rapporté, chez les personnes magnétisées, de l’hyperesthésie ou surexcitation des sens, du ravivement de la mémoire et des visions, qui sont parfois dans un rapport assez exact avec ce que le somnambule pouvait savoir ou sentir de la réalité des faits. C’est faute d’apprécier le caractère du phénomène que les esprits enthousiastes, de même que le crédule public du moyen âge, ont été chercher des explications surnaturelles. Dans ces phénomènes, déjà fort singuliers par eux-mêmes, il suffit d’exagérer un peu la dose d’étrangeté pour arriver au merveilleux, et, sous l’empire de l’étonnement provoqué par des phénomènes inattendus, on ajoute comme à son insu dans la balance de son esprit le surpoids qui la fait trébucher du côté de l’absurde.