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cutivement. C’est ce qu’on observe tous les jours dans l’aliénation mentale. On est étonné de la force de mémoire de certains fous, de leur loquacité, qui arrive parfois jusqu’à l’éloquence. Van Swieten a cité le cas d’une jeune couturière qui n’avait jamais manifesté les moindres dispositions pour la poésie, et qui se mit à faire des vers dans le délire de la fièvre. M. Michéa remarque que, dans l’espèce de folie appelée excitation maniaque, les analogies de mots, les similitudes de consonnances se présentent si rapidement à l’esprit du malade qu’il a une extrême facilité à faire des calembours et se rappelle plutôt les vers que la prose. Le Tasse se sentait plus inspiré dans ses accès de folie que pendant ses intervalles lucides. Et M. Michéa observa lui-même à l’hospice de Bicêtre un garçon boucher qui, dans un accès de manie, se mit à débiter des passages de la Phèdre de Racine; il ne l’avait lue cependant qu’une fois, et après avoir recouvré son bon sens, il n’en put retrouver un seul vers. Érasme affirme avoir entendu un jeune homme de Spolète qui, dans un délire provoqué par la présence de vers intestinaux, parlait couramment l’allemand, dont il n’avait qu’une faible teinture. Des gens simples et ignorans, saisis d’une monomanie religieuse, d’une folie raisonnante, font preuve d’une connaissance des textes sacrés et des matières théologiques qui a lieu de surprendre. Les citations qu’ils ont entendues dans un sermon, les oraisons qui ont frappé leurs oreilles pendant l’office divin leur reviennent tout à coup à l’esprit, et ils les savent distribuer à propos dans des discours qui ont tout le ton de l’inspiration. Coleridge, en sa Biographie littéraire, a rapporté l’exemple d’une servante folle qui, bien que complètement illettrée, répétait des sentences grecques tirées d’un père de l’église qu’elle avait accidentellement entendu lire à haute voix par le pasteur au service duquel elle se trouvait.

Ce développement extraordinaire de la mémoire a été signalé chez les somnambules magnétiques. Déjà dans le sommeil simple, en rêve, nous retrouvons le souvenir d’objets, de figures, de passages d’auteurs qui durant la veille semblait totalement effacé. Chez les somnambules naturels, ce ravivement du souvenir est encore plus prononcé. Un médecin italien, Pezzi, rapporte que son neveu, sujet à des accès de somnambulisme, avait un jour cherché à se rappeler un passage d’un discours sur l’enthousiasme dans les beaux-arts. Ses efforts avaient été impuissans; tombé dans un de ses accès, non-seulement il retrouva le passage tant cherché, mais il cita le volume, la page, l’alinéa. Et puisque je parle des somnambules naturels, je ferai remarquer qu’on a bien souvent rencontre dans leurs réponses cette même précision, cette même propriété de termes et jusqu’à cette éloquence observée dans le langage d’une foule d’hystériques.