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ne pourrais en citer de meilleure preuve que le discours prononcé par lui, il y a peu d’années, devant la société des ingénieurs civils de l’Angleterre, sur les mérites comparés des chemins de fer anglais et français. Jamais on ne nous rendit justice avec plus de compétence en même temps qu’avec plus de franchise. Robert Stephenson mettait en regard la situation très prospère de notre industrie des chemins de fer avec l’état de cette industrie en Angleterre, les magnifiques dividendes de nos grandes lignes avec les maigres revenus du réseau de la Grande-Bretagne. Cette différence s’explique en partie, comme il le rappelait, par les lourdes charges qu’ont imposées aux compagnies anglaises les exigences absurdes des propriétaires, les frais des bills du parlement, et par la concurrence des diverses parties du réseau anglais, dont le tracé n’a été assujetti à aucune règle. Les chemins de fer de la Grande-Bretagne ont été construits sans la participation de l’état, qui n’a fourni aux compagnies ni l’appui direct de ses finances ni le prestige de son crédit. En France, les sociétés fondées pour la construction et l’exploitation de nos voies ferrées n’ont pas eu à lutter contre les mêmes difficultés, et de plus elles ont été puissamment secondées par le gouvernement. Garanties d’une manière à peu près certaine contre la concurrence, armées de la loi d’expropriation publique la plus commode et la plus expéditive, elles ont reçu de l’état des faveurs exceptionnelles par les subventions et les garanties d’intérêt ; leurs charges ont été ainsi diminuées, leur crédit consolidé. L’état a mis en outre à la disposition des compagnies les ingénieurs élevés dans ses propres écoles. En peu d’années, on les a vus couvrir la France de magnifiques travaux d’art, et introduire dans le service et l’exploitation de nos chemins de fer une organisation si admirablement ordonnée, qu’elle peut aujourd’hui servir de modèle à tous les pays, et que l’Autriche, la Russie, l’Espagne, sont venues successivement réclamer notre concours pour exécuter et organiser leur réseau.

Contraste singulier, tandis que nos plus éminens ingénieurs sont, sauf quelques brillantes exceptions, d’anciens élèves de l’Ecole polytechnique, où ils ont reçu l’enseignement le plus savant et le plus complet qui se donne dans le monde entier, les grands ingénieurs de la Grande-Bretagne ont été presque tous des hommes d’une condition obscure, sans éducation scientifique. Nous avons raconté longuement les épreuves du pauvre ouvrier mineur qui devint le promoteur des chemins de fer ; son fils Robert ne fréquenta les écoles que pendant deux ans seulement : le reste de son éducation se fit dans les mines, sur les chantiers, dans les ateliers. On peut en dire autant pour Locke, John Dixon, Thomas Gouch, Swanwich, ingénieurs bien connus en Angleterre et tous élevés à l’école de George