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machine marchait avec infiniment plus de facilité que toutes celles qui l’avaient précédée. Pourtant la vitesse ne dépassait pas encore celle d’un cheval, et l’expérience démontra qu’elle ne présentait aucune économie sur l’emploi des moteurs animés. Le tirage y était très insuffisant, et Stephenson dut chercher à l’activer. Comme les voisins se plaignaient de tous côtés du bruit affreux que faisait la vapeur en s’échappant dans l’atmosphère après avoir travaillé dans les cylindres de la locomotive, il songea à envoyer cette vapeur dans la cheminée. Ce fut un véritable trait de lumière. L’espèce d’expiration régulière ainsi obtenue donne naissance à un tirage extraordinaire qu’on n’aurait pu produire par aucun autre moyen. C’est en partie grâce à ce simple et ingénieux artifice que les locomotives peuvent atteindre les vitesses formidables qu’on leur imprime aujourd’hui. Cette invention fut essayée par Stephenson en 1815, dans une nouvelle machine, qui reçut aussi beaucoup de perfectionnemens mécaniques très importans, et où l’on retrouve déjà, bien qu’en caractères encore imparfaits, les traits principaux de la locomotive moderne.

Stephenson reconnut que les rails en fonte et les coussinets dans lesquels ceux-ci se trouvaient adaptés étaient extrêmement imparfaits sur les tramways des charbonnages du Northumberland et du Durham. Les ressauts violens imprimés à la machine locomotive par suite des inégalités et des imperfections de la voie, la fatigue excessive des organes qui résultait de ces chocs, rendaient l’exploitation presque aussi coûteuse dans le nouveau système que dans les anciens. Il comprit qu’à un appareil d’une grande délicatesse mécanique devait correspondre une voie d’une perfection nouvelle. Pour en montrer la parfaite solidarité, il se plaisait à appeler familièrement le rail et la machine « le mari et la femme. » Il substitua bientôt aux roues en fonte des locomotives des roues entourées de bandages en fer, changea la forme des rails, altéra aussi celle des coussinets, de façon à mieux assurer la rigidité de la voie. Chaque jour il perfectionnait son système sur quelque point.

Vers 1818, les amis de Stephenson lui conseillèrent d’essayer sa nouvelle locomotive sur les routes ordinaires. Faire circuler des machines à vapeur sur toutes les routes du royaume était alors le rêve favori de tous les esprits amoureux de progrès. La sagacité de Stephenson ne se laissa pas entraîner par de semblables illusions; il savait trop bien avec quelle difficulté sa locomotive parcourait le chemin de fer de la mine de Killingworth. Il voulut cependant faire quelques expériences sur la résistance que les voitures rencontrent en parcourant les routes. Il inventa pour l’occasion un dynamomètre, ou mesureur de résistances, sans avoir la moindre connaissance préalable des appareils de ce genre, dont le principe, très peu com-