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comme il le disait, le médecin de toutes les montres et horloges du voisinage, qu’il réparait aussi bien qu’un homme du métier. C’est à Willington-Quay que naquit Robert Stephenson. Sa naissance n’aurait pu être accueillie avec plus de joie, si l’on avait connu la brillante destinée qui l’attendait; mais ce bonheur domestique ne fut pas long : la jeune mère mourut peu après. Stephenson se vit obligé de quitter son enfant pour aller tout au fond de l’Ecosse réparer une machine d’épuisement. Il part le bâton à la main, et fait tout le voyage à pied; il revient de même, pour économiser son gain. Il apprend à son arrivée que durant son absence son père a été horriblement brûlé par un jet de vapeur, que, devenu aveugle par suite de cet accident, il est tombé dans la misère la plus profonde. George se hâte, avec ses petites économies, de payer les dettes contractées pendant la maladie, et d’assurer à son père un asile pour sa triste vieillesse.

À ce moment, l’Angleterre, menacée dans son existence, se préparait à une lutte désespérée. De 1807 à 1808, elle n’eut pas moins de sept cent mille hommes sous les armes. George Stephenson fut désigné pour entrer dans la milice. Pour échapper au service militaire, il dut s’acheter un remplaçant, et sacrifier le reste de ses économies. Un moment il s’abandonna au désespoir, et songeait à quitter son pays pour émigrer aux États-Unis. Causant plus tard avec un ami des pensées qui l’assiégeaient à cette époque : « Vous connaissez, lui disait-il, le chemin de ma maison à Killingworth ; je me rappelle l’avoir suivi en pleurant amèrement, car j’ignorais où la destinée allait me jeter. » Il y a ainsi dans la vie de presque tous les hommes un tournant dangereux, un moment plein de périls, d’angoisses, où tout semble se conjurer comme pour tenter leur courage, leur patience, souvent leur honneur. C’est dans ces épreuves critiques que les faibles succombent et se perdent sans retour ; ceux que touche la main divine y deviennent plus forts, et s’affermissent à jamais contre toutes les défaillances. Sortis vainqueurs de la lutte, ils n’ont plus qu’à marcher de victoire en victoire.

George Stephenson ne recula pas un instant devant les devoirs que lui imposait sa difficile position. Son fils grandissait et avait besoin d’éducation. « dans la première partie de ma carrière, disait-il plus tard à ce sujet, quand Robert était un petit garçon, je vis combien mon éducation était insuffisante, et je me promis de ne pas le laisser souffrir de la même privation. Je voulus le mettre à l’école et lui faire donner une instruction libérale; mais j’étais un pauvre homme. Comment pensez-vous que je fis? Je me mis à raccommoder les montres des voisins la nuit, quand mon travail de jour était fini, et c’est ainsi que je me procurai les moyens d’élever mon fils. »

Tout en faisant métier d’horloger et accidentellement aussi de