Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/653

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disposition, et, par l’ordre exprès du suprême directeur, un hôtel était préparé pour me recevoir. Je n’étais pas homme à commettre une si lourde faute. Ce voyage, auquel on voulait donner tant d’éclat, eût été représenté comme une reconnaissance tacite des droits de la république. La France, il faut en convenir, aurait eu mauvaise grâce à prendre sur ce point l’initiative; elle était l’alliée de l’Espagne, et ne pouvait donner à l’égard de cette puissance l’exemple des mauvais procédés. Je me sentais sur un terrain glissant, où le moindre faux pas pouvait avoir les plus graves conséquences. Loin de vouloir trancher du diplomate, je jugeai à propos de me renfermer plus que jamais dans mon rôle d’amiral. Je refusai nettement de faire le voyage auquel on m’invitait d’une façon si pressante. Tout ce que je pus promettre, ce fut d’attendre quelques jours encore à Valparaiso l’arrivée du directeur suprême, dont le général Freyre m’avait fait espérer la visite; mais le directeur, justement soucieux de sa dignité, resta à Santiago.

On tenait cependant à savoir ce que j’étais venu faire sur les côtes du Chili. La question était trop naturelle pour que je pusse m’en montrer blessé. Le ministre de l’intérieur et des affaires étrangères, don Joachim d’Echaveria, fut chargé de me la poser avec tous les ménagemens dont les chancelleries se sont de temps immémorial fidèlement transmis le secret.


« Le gouvernement chilien, m’écrivit don Joachim, s’attendait à être fidèlement instruit de l’objet que s’est proposé sa majesté très chrétienne en vous envoyant dans ces parages. Ce n’est que par un avis du gouverneur de La Conception qu’il a appris, il y a quelques jours, le but de votre voyage. Vous venez, écrit ce gouverneur, manifester la sympathie de la France pour les états indépendans de l’Amérique, et établir avec eux des relations d’amitié et de commerce. Une semblable mission n’exigeait point peut-être l’envoi si coûteux d’une division navale. Vous ne devez donc pas vous étonner que les citoyens de cette république en aient, au premier abord, conçu quelques alarmes. Son excellence le directeur suprême eût été heureuse de se concerter personnellement avec votre seigneurie, certaine que cet entretien eût dissipé tous les doutes et donné de nouveaux gages à l’indépendance du pays; mais son excellence est informée que vous vous proposez de quitter prochainement les côtes du Chili et de vous diriger vers le port du Callao, qui est en ce moment bloqué par nos forces de terre et de mer. La neutralité qu’ont fidèlement observée jusqu’ici les puissances étrangères, la conduite libérale et généreuse de cette république, le respect dont elle n’a cessé de faire preuve envers le pavillon de la France, nous donnent lieu d’espérer que votre seigneurie ne nous refusera pas une explication qui nous tranquillise sur le but de son voyage. Si votre seigneurie ne veut pas que nos craintes soient encore augmentées, elle consentira à différer son apparition sur les côtes du Pérou, jusqu’au jour où l’occupation de ce