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leur tête de manière à s’en couvrir jusqu’à la ceinture. Un cri aigu donne le signal de l’attaque. Tous fondent à la fois sur l’ennemi, se faisant avec une incroyable adresse un bouclier du corps de leurs chevaux; ils évitent ainsi la première décharge des armes à feu. Leur choc est terrible, et les renforts continuels qu’ils reçoivent les empêchent de sentir leurs pertes. Gagnés par les indépendans, les Araucanos fournirent à l’armée chilienne quatre mille cavaliers aguerris. Chaque jour diminuait donc les chances que pouvait avoir conservées l’Espagne de rétablir son autorité dans ces colonies lointaines; mais tant qu’il restait à cette puissance un pied sur le continent américain, les colons émancipés pouvaient craindre quelque brusque retour de fortune. Affranchi par les secours qu’il avait reçus de Buenos-Ayres, le Chili devait au soin de sa propre sécurité de tenter à son tour l’affranchissement du Pérou. Une expédition considérable venait de partir de Valparaiso et de La Conception, se dirigeant vers la rade de Lima. L’œuvre d’émancipation semblait approcher de son dénoûment, et tout me commandait de redoubler de circonspection.

Les Chiliens sont naturellement hospitaliers, et de notre côté nous accordons facilement notre sympathie aux étrangers, surtout à ceux qui ont arboré l’étendard de la révolte. Une grande intimité ne tarda donc pas à s’établir entre les officiers de nos bâtimens et les habitans de La Conception. C’était à qui, parmi ces derniers, obtiendrait l’honneur de recevoir sous son toit un des compatriotes de La Pérouse. Le souvenir de l’illustre navigateur était encore vivant dans cette ville, qu’il avait visitée en 1785. Des vieillards, des mères de famille, qu’un pareil souvenir rajeunissait de près de quarante ans, se plaisaient à nous montrer l’endroit où les marins de la Boussole et de l’Astrolabe avaient dressé leurs tentes. Mes relations officielles avec le général Freyre prirent aussi, et presque malgré moi, un degré inusité de confiance. Ce général était alors âgé de trente-quatre à trente-cinq ans. Il passait pour habile politique et avait en mainte occasion donné des preuves incontestables de bravoure personnelle. La douceur et la générosité de son caractère le faisaient aimer de tous les Chiliens. Il m’engagea vivement à ne pas poursuivre mon voyage sans toucher à Valparaiso. Cette relâche me mettrait, disait-il, en rapports directs avec le président O’Higgins, et m’éclairerait pleinement sur la véritable situation du pays.

Je cédai à ces instances; mais, lorsque j’arrivai à Valparaiso, le 14 janvier 1821, ce fut à Santiago même, à Santiago, siège du gouvernement et capitale de la république du Chili, que le gouverneur don Luiz de la Cruz essaya de m’entraîner. Il avait reçu l’ordre de m’accompagner en personne; des voitures devaient être mises à ma