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fournissait sans peine à leurs besoins : ils ne lui demandaient pas davantage. Sur la lisière odorante d’un bois d’orangers, dont les fruits abandonnés jonchaient partout la terre, chaque famille se contentait de défricher un étroit espace de terrain pour y bâtir une modeste cabane et y semer un peu de blé ou de maïs. Des volailles, quelques bestiaux, et surtout les produits de la pêche, ajoutaient de faciles ressources à cette récolte. Le poisson, préparé et séché au soleil, était mis en réserve pour les mauvais jours de l’hiver. L’existence matérielle se trouvait ainsi assurée. Les vêtemens mêmes étaient tissés avec le coton indigène. Ces heureux insulaires sont originaires des Açores, qu’ils ont abandonnées pour fuir les exigences et les exactions de la métropole. Comme tous les peuples dont la vie est facile, ils sont doux, affables, hospitaliers. L’admirable climat de Sainte-Catherine n’a fait que fortifier une race chez qui le sang des Maures s’unit à celui des Germains. Les femmes sont généralement belles; les hommes ont le teint brun, les traits réguliers, les membres vigoureux et souples. Le gouvernement portugais n’avait pas encore établi d’une façon bien complète son autorité dans cette île. Le recrutement militaire y rencontrait surtout d’opiniâtres résistances. Les habitans se cachaient dans les bois pour échapper à un service qui leur était odieux. Un bataillon de huit cents hommes venait d’être envoyé de Bahia pour les faire rentrer dans le devoir; un fort avait été construit sur l’île, à l’entrée du goulet, et deux routes percées à travers la forêt assuraient les communications avec l’intérieur. La soumission prochaine des conscrits réfractaires était donc assurée.

S’il faut subir un joug, si l’on ne peut échapper à cette loi fatale, mieux vaut du moins le joug d’un pouvoir régulier que celui d’une tyrannie mobile et capricieuse. Le Brésil n’était certes pas en 1820 un paradis terrestre; mais les républiques que j’allais visiter étaient plus éloignées encore d’en présenter l’image. Le nouveau continent était à cette époque pour les âmes paisibles, pour ces bienheureux pacifiques dont parle l’Evangile, un séjour aussi peu enviable que les contrées les plus troublées de notre vieux monde. La vie, hélas! est partout un combat; en 1820, on eût pu ajouter... surtout en Amérique !

Les ports du Nouveau-Monde situés au sud de l’équateur, ceux même que baigne l’Atlantique, n’avaient été que rarement visités par notre marine. La jalousie commerciale nous en avait exclus avant la révolution; la suprématie de la marine anglaise nous en avait fermé l’accès tant qu’avait duré l’empire. Au Brésil, nous commencions à nous créer des relations fructueuses; j’avais pu m’en assurer pendant mon séjour devant Rio-Janeiro. Il me restait à savoir