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vales dans ces parages, où l’on s’était fait à la longue une trop mince idée de notre puissance.

Dès 1820, nos compatriotes témoignaient un grand penchant à émigrer au Brésil. La ville seule de Rio-Janeiro comptait, sur une population de cent trente à cent quarante mille âmes, trois mille Français, qui propageaient au Brésil le goût de nos produits; les capitaux qui pouvaient se former au sein de cette population laborieuse devaient refluer tôt ou tard vers la France. Ces émigrés avaient donc des droits incontestables à notre protection. Le roi Jean VI ne les voyait pas sans plaisir apporter dans ses vastes états leur industrie et leur activité;, il daigna m’en donner lui-même l’assurance, lorsque je lui fus présenté avec les officiers de la division. Ce souverain débonnaire, qui n’aimait que le repos, et auquel le repos fut constamment refusé, se trouvait fort heureux au Brésil. La douceur de son administration le faisait aimer de ses sujets. Il n’avait pour toute armée qu’un cadre de seize mille hommes, dont la moitié tout au plus se trouvait sous les drapeaux. Il ne lui en fallait pas tant pour être à l’abri des insurrections dans un pays où sa présence était considérée comme un bienfait; mais il fallait que ces troupes fussent fidèles et que le vent de la révolte ne traversât pas l’Atlantique.

Nous prîmes congé du roi Jean VI dans les premiers jours de septembre, et le 13 du même mois nous appareillâmes de Rio-Janeiro pour continuer notre voyage vers le sud. Avant de me diriger sur l’embouchure de la Plata, j’avais résolu de m’arrêter dans la baie de Sainte-Catherine. Je savais que j’y trouverais un excellent mouillage, et j’attachais un grand intérêt à connaître les ressources que cette baie profonde pouvait offrir à nos croiseurs en temps de guerre. L’île de Sainte-Catherine, située par 27 degrés de latitude, presque à la limite de la zone tropicale, est séparée du continent par un détroit large au plus de deux ou trois lieues ; elle présente une longueur de neuf lieues sur une largeur de deux lieues et demie. Les bords en sont généralement escarpés; l’intérieur, inégal, montueux, coupé par une infinité de ruisseaux, offre partout le spectacle de la végétation la plus vigoureuse. Le climat de Sainte-Catherine rappelle celui des fabuleuses Hespérides. La température y est douce, l’air sec et salubre. Le sol peut recevoir avec un égal avantage les productions des deux zones. La canne à sucre, le caféier, le bananier, l’ananas, le tabac, s’y cultivent à côté du pêcher et de toutes les plantes potagères de l’Europe. Le cotonnier seul n’y a jamais bien réussi ; ses produits sont restés inférieurs en qualité à ceux du cotonnier de Bahia ou de Fernambouc.

Les habitans de Sainte-Catherine, lorsque je les visitai, n’avaient eu presque aucune relation avec les Européens. Un sol complaisant