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de l’année 1820, la lutte, terminée à l’avantage des insurgés sur les rives de la Plata et dans la province du Chili, n’était point encore engagée au Pérou; elle se prolongeait avec un acharnement incroyable dans la Colombie, mais sans grande apparence de succès pour l’Espagne. La cause de cette puissance gagnait au contraire du terrain au Mexique. En pareille circonstance, la neutralité la plus absolue était de rigueur, et le ministre en faisait le premier devoir de la mission que j’allais remplir; il me prescrivait d’assurer à notre commerce les garanties qu’exigeait l’instabilité du pouvoir dans ces états nouveaux, et m’invitait à recueillir tous les renseignemens propres à éclairer le gouvernement du roi sur l’avenir d’un mouvement qu’on ne voulait encore ni reconnaître ni désavouer. La tâche était délicate; je ne pouvais cependant qu’être flatté du rôle qu’on m’attribuait. Sans avoir l’importance des événemens qui préparèrent l’émancipation des États-Unis, l’insurrection à laquelle les colonies de l’Amérique méridionale dupent leur indépendance n’en est pas moins le fait capital de la période qui sépare la chute de l’empire de la révolution de juillet. Il y avait donc un certain honneur à être choisi pour l’observer, il y avait aussi d’intéressans souvenirs à se promettre d’une semblable campagne.

Le 6 juin 1820, la brise s’étant élevée du nord-ouest, je fis signal à la division de mettre sous voiles. A huit heures du matin, nous étions par le travers de la chaussée de Sein. Les côtes de Bretagne avaient disparu. On oublie trop vite les angoisses du départ; si on se les rappelait dans toute leur amertume, il faut bien le dire, il n’y aurait plus de marins. Le vent avait successivement tourné au nord, puis à l’est; nous filions près de dix nœuds à l’heure. Penché sur le bastingage, je suivais des yeux ce sillage rapide, dont le murmure semblait moins parler d’éloignement que de prompt retour. C’est ainsi que l’espoir rentre insensiblement, et comme à son insu, dans le cœur du marin : espoir incorrigible, qui n’entrevoit jamais que des retours heureux !

Quatre jours après notre départ de Brest, nous étions devant l’embouchure du Tage. Les pilotes vinrent à bord, et nous allâmes jeter l’ancre au-dessus de la tour de Bélem. Le gouvernement avait voulu que nous pussions apporter au roi Jean VIe retiré depuis 1808 au Brésil, des nouvelles récentes de son royaume; celles que nous recueillîmes n’étaient pas de nature à réjouir le cœur d’un souverain. On connaît la situation admirable de Lisbonne : peu de villes ont offert le spectacle d’une plus grande opulence; mais l’éloignement de la cour et l’influence dominante des Anglais avaient depuis quelques années porté la plus funeste atteinte à la prospérité de cette