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commerce y succédait au monopole jaloux qui les avait exploitées pendant près de trois siècles. Le devoir de la France était de revendiquer sa part des avantages que promettait à l’industrie européenne ce nouvel état de choses. Les Anglais, fidèles à leurs traditions, avaient pris sur nous les devans. Ils dépeignaient la France comme un pays épuisé par des guerres continuelles, sans marine, sans finances, incapable de mettre en mer le moindre armement. Il importait de démentir ces bruits intéressés et d’assurer à notre commerce une protection sans laquelle nous l’eussions vu exposé à mille avanies. Jamais vaisseau de ligne français n’avait doublé le cap Horn. Le ministre des affaires étrangères, M. Le baron Pasquier, d’accord avec le ministre de la marine, jugea qu’un vaisseau pouvait seul donner aux populations sur l’esprit desquelles nous voulions agir une idée convenable de notre puissance navale. La frégate la Renommée, qui avait accompagné déjà le vaisseau le Centaure sur les côtes d’Afrique, lui fut encore adjointe pour cette seconde campagne.

Sans la double usurpation qui proclama la déchéance de la maison de Bragance et fit momentanément descendre du trône d’Espagne les héritiers de Philippe V, l’on peut se demander si le Nouveau-Monde catholique aurait eu, comme le Nouveau-Monde protestant, sa révolution. Les colonies de l’Amérique du Sud ne songèrent à se gouverner elles-mêmes que le jour où l’étranger fut le maître dans la métropole. L’affranchissement les surprit à l’improviste. Leur éducation politique était tout entière à faire, et une révolution imprévue faisait tomber leurs lisières avant qu’elles eussent appris à marcher. Bien qu’une même impulsion animât tous les insurgés, bien qu’ils sentissent instinctivement que leurs causes étaient solidaires, nulle pensée d’unité ne parut présider à leurs efforts. Chaque soulèvement fut l’effet de souffrances ou d’ambitions locales, et l’Espagne vit ses possessions d’outre-mer se détacher l’une après l’autre de sa domination, en conservant la forme administrative sous laquelle elle les avait constituées. Entre ces diverses provinces, peuplées par la même race, la nature avait élevé des frontières qui les rendaient presque étrangères l’une à l’autre. Aussi chacune de ces possessions lointaines avait-elle eu, dès les premiers jours de la conquête, une existence distincte. Il était difficile qu’un lien fédératif parvînt à les réunir. Ce fut peut-être le rêve de quelques-uns des chefs de la révolution, ce fut surtout celui du plus éminent d’entre eux ; mais la force des choses devait l’emporter sur de vaines théories, et le morcellement des nouveaux états n’a fait jusqu’ici que s’accroître.

Au moment où je reçus mes dernières instructions, vers le milieu