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pas enracinée en moi la foi de mes aïeux, leur long martyre est un legs qui pèse sur ceux de notre nom et les engage tous. Si vous changiez de croyance pour arriver jusqu’à moi, je vous estimerais moins, et, vous estimant moins, je ne pourrais plus vous aimer. Si je vous parle ainsi, c’est pour que vous me connaissiez tout entière. Vous savez à présent pourquoi j’évitais ces promenades et ces rencontres que vous recherchiez. Il n’en pouvait sortir rien de bon, et pour vous, et pour moi ; mais quand je me suis retirée, le mal était fait ; je l’ai senti au trouble de mes nuits. Rien depuis lors n’a pu me guérir, ni la méditation, ni la prière. Dieu n’a point béni mes larmes. C’est la première fois, ce sera la dernière aussi que je vous parlerai de ce triste amour. Il y a des blessures si cuisantes, qu’il n’y faut pas toucher. Maintenant il serait à désirer que vous eussiez le courage de partir. Vous aurez traversé cette solitude comme autrefois le fils d’Abraham traversa la Mésopotamie ; seulement la fille de Laban ne vous suivra pas. Il ne dépendra pas de moi que je vous oublie, toute ma volonté et une longue suite de jours n’y suffiraient pas ; mais si mon père me présente un mari, je ne dois pas vous cacher non plus qu’au premier signe de sa volonté j’obéirai.

Rodolphe était atterré. La raison lui criait que chaque parole de Salomé était marquée au coin du bon sens et de la vérité. Elle lui parlait un langage ferme et résolu ; on ne devinait la tendresse profonde qui était en elle qu’à l’accent de la voix et à l’expression des yeux. Tout son amour, tout son dévouement, tout son désespoir, y semblaient réfugiés. Le chasseur la connaissait assez pour savoir que rien désormais ne la ferait dévier de la route où elle voulait marcher. Cependant il ne pouvait se résoudre à l’abandonner. Il regarda autour de lui le cercle de forêts dont un rayon de soleil oblique rougissait les cimes, et la pensée de quitter ce petit coin de terre où il avait rencontré Salomé lui serra le cœur. La Herrenwiese était comme une patrie nouvelle pour lui. Il se hasarda à demander à sa compagne si rien ne fléchirait Jacob Royal, et si par affection il ne consentirait pas à lui donner sa fille. Salomé secoua la tête. — Est-ce à moi, dit-elle, de lui porter ce coup terrible ? Qu’a-t-il fait pour que ces mains auxquelles il a enseigné la prière se dressent contre lui et le déchirent ? Non, non. Il a plu au Seigneur de nous envoyer cette épreuve, acceptez-la comme je l’accepte !

Rodolphe et Salomé s’entretinrent encore quelques instans, puis Salomé se leva. — Il faut nous séparer, dit-elle ; nos cœurs se sont ouverts, ne les laissons pas s’amollir dans d’inutiles épanchemens. La plaie est assez douloureuse sans qu’il soit besoin de l’élargir. Encore une fois, donnez-moi votre main, puis adieu. Nous sommes comme deux voyageurs qui se rencontrent dans le désert ; une heure