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— Qu’il soit fait selon la volonté de Salomé ; dans un an, je reviendrai, dit l’éclusier, et si son cœur ne parle pas pour moi, je choisirai une autre compagne.

La bouche de Salomé s’ouvrit comme pour lui dire : — Ne revenez pas ! mais l’excès de sa joie lui fit peur, et elle cacha sa tête entre les bras de Ruth.

Une heure après, Rodolphe, qui rôdait autour de la maison, en vit sortir Salomé. Elle prit un sentier qui côtoyait le bord du ruisseau, et le descendit à pas lents ; elle était seule ; Rodolphe la suivit. Au bout de quelques minutes, elle atteignit l’endroit où commence la vallée qui se dirige vers Forbach. Quelques grands arbres qui trempent leur pied dans l’eau y mêlent leur feuillage sur un talus de gazon semé de grosses pierres. La journée avait été tiède et rappelait les belles heures de l’automne envolé. Salomé s’assit au soleil sur la mousse. D’une main distraite, elle jetait de petits cailloux dans l’écume du torrent. Rodolphe s’approcha d’elle ; Salomé attacha sur lui ses yeux sans témoigner aucune surprise ; jamais son regard n’avait été plus doux et plus triste. — Ah ! je vous aime ! s’écria Rodolphe hors de lui.

— Et vous êtes catholique ! répondit Salomé sans retirer la main qu’il avait saisie.

Un frisson parcourut tout le corps de Rodolphe. Que de choses dans ce seul mot ! Il était aimé, et une barrière infranchissable les séparait. Il ne voyait aucun moyen d’arriver jusqu’à ce cœur qui se donnait à lui. Le saisissement l’empêcha de répondre. Il porta silencieusement la main de Salomé à ses lèvres et la regarda avec une sorte d’effroi. — Oui, vous m’aimez, reprit-elle la rougeur sur le front, mais sans s’éloigner. Je l’ai compris en même temps que j’ai compris que je vous aimais aussi. Peut-être est-ce un aveu que je ne devrais pas vous faire ; cependant j’y trouve un charme douloureux qui m’y fait succomber. D’ailleurs il n’est pas dans ma nature de mentir, et mieux vaut tout de suite creuser ensemble une situation à laquelle je ne vois pas d’issue. Nous serons deux à prendre la résolution qui nous paraîtra la meilleure. Je vous sais honnête et bon ; pendant cette première nuit que vous avez passée sous notre toit, au milieu du délire qui vous avait saisi, vous avez prononcé le nom de votre mère ; ce souvenir m’a donné une favorable opinion de votre cœur ; rien plus tard ne l’a démentie, et lentement je me suis attachée à vous ; à votre tour, vous emporterez de moi la pensée que je suis une créature sincère qui n’aurait pas mieux demandé que de vous dévouer sa vie. Malheureusement il y a entre nous un abîme que la plus longue patience et les efforts les plus constans ne parviendront pas à combler. Vous savez de quel sang je sors ; n’eussé-je