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Mon titre de Français me valut un accueil empressé de la part de tous les Indiens invités par Zamba. Les pirates français, qui jadis écumaient la mer des Antilles et qui ont laissé tant de sanglans souvenirs sur les côtes de la Colombie et de l’Amérique centrale, n’en voulaient qu’aux frégates, aux plantations, aux villes espagnoles, et dans leurs expéditions prenaient souvent les Indiens pour compagnons de meurtre et d’incendie. De là sans doute cette popularité qui s’attache au nom de Français. Malgré moi, je devenais solidaire des anciens pirates de l’île à la Tortue.

De même que les autres tribus de la Sierra-Nevada de Sainte-Marthe, toutes connues par les noms de leurs villages, Gaïra, Mamatoco, Masinga, Taganga, la tribu des Bondas descend de l’ancien peuple des Taironas, qui, lors de l’arrivée des Espagnols, cultivait les vallées et les pentes des montagnes jusqu’au pied même des glaces, et pouvait, dit-on, mettre plus de cinquante mille combattans sous les armes. Plus d’une fois il repoussa les Espagnols en bataille rangée, et la plage de Gaïra garde encore le souvenir d’une lutte terrible où toute une armée d’envahisseurs blancs fut exterminée jusqu’au dernier homme. Cependant les Indiens, attaqués de nouveau, durent à la fin céder devant la discipline et les armes à feu des Européens, et probablement ils ne doivent qu’aux retraites de leurs montagnes d’avoir en partie échappé au fer et à la flamme. Aujourd’hui les descendans des antiques Taironas sont dans un état de transition. Ils ne sont pas encore entrés dans le courant de la vie civilisée, comme leurs frères des états de Santander et de Boyacà, et cependant ils ne vivent plus dans la fière et sauvage liberté d’autrefois. Ils ne parlent même plus la langue de leurs pères, et depuis la guerre de l’indépendance, qui les a transformés en soldats et en citoyens, ils ont perdu le sentiment de la petite patrie locale pour se rattacher à la grande patrie grenadine. C’est dans ce nouveau patriotisme qu’est le germe de leur régénération future.

Les caciques des Indiens de la sierra n’ont jamais eu qu’une autorité librement consentie par tous les membres de la tribu; mais autrefois cette autorité décidait sur tous les procès, prononçait tous les jugemens d’une manière absolue et sans appel. Aujourd’hui les caciques ne sont en réalité que de simples juges de paix, et toutes les affaires importantes doivent être portées devant le tribunal de Sainte-Marthe. Simonguama l’avait appris à ses dépens. S’il eût été jugé dans sa tribu, il n’aurait certainement pas été condamné à la forte peine qu’il avait dû subir pour avoir pénétré de nuit dans la cabane d’un mulâtre de Mamatoco et l’avoir complètement pillée. Chaque peuple a sa morale : aux yeux des autres Bondas, Zamba