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qu’il atteigne le second défilé, il est assailli par un ouragan de neige; si, malgré la tempête, il continue à gravir le roc, alors le diable en personne vient à sa rencontre et montre ses cornes au voyageur obstiné. Cette fable s’appuie sur un fond de vérité et peut donner aux gens superstitieux une vague idée de la superposition des climats sur les flancs des hautes montagnes. En effet, la Sierra-Nevada, posée comme une barrière gigantesque en travers du chemin suivi par les vents alizés, reçoit dans ses vallées toutes les vapeurs qui s’élèvent de la mer; l’après-midi, vers deux heures ou trois heures au plus tard, même pendant les deux saisons des sécheresses annuelles, alors qu’un impitoyable azur s’étend sur la plaine, l’orage éclate dans la sierra, et les vapeurs se précipitent en torrens de pluie dans les vallées inférieures, en ouragans de neige sur les pentes élevées. Plus haut encore s’étendent les paramos, plateaux déserts où ceux qui ne sont pas habitués aux courses de montagnes sont souvent pris de vertige; ce vertige, à quoi l’attribuer, si ce n’est aux maléfices du démon? Je craignais peu les sortilèges; mais en l’absence de guides je ne pouvais guère me flatter de découvrir seul les défilés praticables et les sentiers frayés par les tapirs à travers les fourrés. A Sainte-Marthe, pas un seul homme, blanc, noir ou sambo, n’avait pénétré dans la sierra jusqu’à la base de la Horqueta. Quarante jours avant mon arrivée, une dizaine d’hommes, munis de provisions et d’armes, étaient partis pour la montagne dans l’espoir d’obtenir du gouvernement une concession de 16,000 hectares de terres excellentes, promise à celui ou à ceux qui découvriraient un col facile par lequel on pourrait tracer un sentier jusqu’à la ville de Valle-Dupar, située en droite ligne à vingt-cinq lieues au sud-est; mais l’expédition, loin de franchir la crête de la sierra, redescendit par une vallée latérale au village de la Fundacion, près de la Cienega. Il est certainement incontestable que ces montagnes sont d’un très difficile accès; cependant on ne peut trop s’étonner qu’un sommet haut de plus de 4,000 mètres et se dressant à moins de quatre lieues de distance de Sainte-Marthe soit resté complètement inexploré jusqu’à ce jour. Les pics les plus élevés n’ont pas même reçu de noms, et personne n’a jamais su me dire quel était le San-Lorenzo, souvent cité dans les ouvrages de Humboldt. Je présume que ce grand voyageur désignait ainsi la Horqueta.

Ne pouvant trouver aucun Espagnol qui voulut me servir de guide, je me rappelai la promesse que j’avais faite à mon ami Zamba Simonguama et je résolus d’aller le visiter dans son village de Bonda pour me faire accompagner par lui dans la montagne. Je demandai naïvement où était situé Bonda, mais on me regarda d’un air étonné. « No hay gente en la sierra (il n’y a personne dans la