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dans ma nouvelle patrie bien plus de sympathique affection qu’on n’en trouve d’ordinaire dans sa ville natale. Une chose qui me frappa d’abord, c’est la remarquable intelligence de tous les jeunes gens que je connus à Sainte-Marthe. Ils s’expriment avec une élégante facilité et s’élèvent naturellement à une éloquence quelquefois verbeuse, mais toujours entraînante. Outre l’espagnol, ils parlent en général une ou deux langues vivantes, le français, l’anglais, l’allemand ou le hollandais. Très curieux de tout ce qui vient de l’étranger, ils savent se procurer une certaine éducation superficielle qui leur permet de converser sur tous les sujets. Cette éducation, ils la doivent entièrement à eux-mêmes, car dans les écoles la discipline est complètement nulle, et pour agir sur les enfans il faut leur parler comme à des hommes libres. Les institutions républicaines ont donné dans tous les pays d’Amérique un tel ressort à la volonté que les enfans comme les hommes n’admettent plus l’obéissance. Pour se faire respecter, les professeurs doivent simplement prendre le titre d’ami, et, loin de faire usage de la moindre autorité, n’agir que par la douceur. En Louisiane, un directeur français ayant introduit dans son collège une discipline sévère, les jeunes gens se mutinèrent et brûlèrent l’établissement.

Chez ces enfans, si chatouilleux sur la question de leur dignité personnelle, le point d’honneur est heureusement très exalté et l’émulation peut leur faire opérer des prodiges. Il suffit de leur montrer de la confiance pour qu’ils cherchent aussitôt à la justifier par leur activité. En cela, les hommes de la Nouvelle-Grenade ne diffèrent nullement des enfans, et dès qu’ils sentiront leur honneur engagé à faire prospérer leur pays, à fonder des écoles, à ouvrir des routes, à cultiver leurs vastes territoires, il est certain qu’ils feront tout ce qu’il est possible d’attendre d’eux. Le point d’honneur est le principal levier avec lequel on pourra soulever ce peuple et le lancer dans la voie du progrès; c’est la grande vertu qui révélera toutes les autres. Ces vertus sont nombreuses : si l’on peut reprocher aux Colombiens une certaine paresse morale, on ne peut nier leur intelligence, leur bravoure, leur affabilité et surtout leur modestie. Avec quelle grâce touchante ne rejettent-ils pas leur propre patrie dans l’ombre lorsqu’ils parlent de la France, qui pour eux est le représentant le plus glorieux des races latines !

Le jeune homme le plus remarquable avec lequel je liai connaissance s’appelait Ramon Diaz. C’était un mulâtre âgé de dix-huit ans à peine; il avait eu le temps déjà d’acquérir une instruction solide. En compagnie d’un voyageur européen, il avait étudié l’ornithologie et la botanique dans la plaine qui entoure la ville; après le départ de l’explorateur étranger, il avait continué ses recherches tout