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l’aile et gazouillent leurs mille chansons, l’ombre du feuillage se dessine sur la muraille blanche et joue avec les rayons naissans. On respire avec enivrement, on se sent renouvelé par cette atmosphère si douce, si fraîche, si vivifiante.

Dès le point du jour, les cavaliers et les piétons couvrent les chemins qui mènent au petit fleuve Manzanarès, ainsi nommé par les conquistadores en souvenir du ruisseau de Madrid, et chacun va choisir une anse ombragée pour y faire ses ablutions du matin. Le sentier que je prenais d’ordinaire passe à travers les jardins. Les hautes herbes en tapissent si bien les bords, les arbres pressés entrelacent si bien leurs branches en forme de voûte, qu’on pourrait se croire dans un immense berceau de verdure. Le soleil fait pénétrer çà et là une aiguille de lumière, et par de rares échappées apparaissent les feuilles en panache des cocotiers se balançant à dix mètres au-dessus des arbres du chemin. Les ciruclas jonchent le sol, les émanations des fleurs épanouies et des fruits mûrs se répandent dans l’air. Souvent on rencontre de jolies Indiennes passant au trot sur leurs ânes, et l’on échange le salut d’usage : « Ave Maria ! — Sin peccado concebida. » Arrivés au pont du Manzanarès, monument remarquable dans son genre, puisqu’il est le seul de la province, mais se composant simplement d’un tablier en bois assez mal posé sur des culées déjà lézardées et penchantes, les groupes se séparent, chaque baigneur descend la berge en s’aidant des branches des caracolis ou des mimosas, et va s’étendre sur le sable micacé de la rivière, semblable à une mosaïque d’or et d’argent. À cette heure matinale, tous les oiseaux chantent, les essaims de moustiques ne tourbillonnent pas encore dans l’air, la chaleur du soleil n’a pas traversé l’épais branchage des arbres, et l’eau, à peine descendue des montagnes, garde encore la fraîcheur du rocher. Après quelques minutes de ce bain délicieux, on remonte sur la rive, puis on se disperse dans les jardins avoisinans. Telles se passent les matinées à Sainte-Marthe.

Une grande partie de la journée est employée à faire la sieste, du moins par les hommes, car les femmes, actives dans tous les pays du monde, n’interrompent que rarement leurs travaux de ménage. Quand la chaleur était trop forte pour me permettre une excursion le long du fleuve ou de la plage, il ne me restait qu’à m’étendre dans mon hamac, un livre à la main. La maison que j’avais louée pour la modique somme de vingt francs par mois était vaste, bien ombragée, entourée d’un beau jardin. Quelques jeunes gens, avides d’apprendre comme le sont sans exception tous les Néo-Grenadins, venaient converser avec moi et m’interroger avec la charmante liberté du pays; étranger à peine débarqué, je trouvais déjà