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vous trouverez une bûche de Noël. » Voilà un régiment réveillé, des corps réchauffés, et des esprits enrichis d’une de ces leçons pratiques, chères à tous ceux que Dieu a faits pour être les pasteurs des guerriers.


IX.

Je crois que l’on a maintenant une idée exacte de notre vie pendant cet hiver. Pour ma part, je songe à ce temps avec plaisir, et je ne pense pas que le charme de ces heures soit uniquement pour moi la lumière dont le passé revêt toute chose. Pour tous ceux que certaines parties du monde extérieur ont profondément lassés et qui n’ont jamais perdu l’habitude de hanter le monde intérieur, mon existence d’alors eût été d’une douceur secrète. Un Werther s’y serait guéri, un René s’y serait consolé. J’avais autour de moi ce que j’aime le mieux du mouvement terrestre, ce qui assurément en est le moins froissant, même pour les esprits les plus étrangers à mes goûts, si ce sont des esprits fiers, délicats et aisément offensés. J’avais sous les yeux ce mouvement de la guerre qui épargne les âmes aux dépens des corps ; j’étais livré à cette action, d’une généreuse et facile nature, qui ne vous impose aucun devoir fâcheux, ne vous contriste par aucune obligation mesquine, qui, au lieu de vous lier à la vulgarité, vous en affranchit, qui vous permet de vous créer dans le bruit tout un royaume d’enchantemens solitaires et silencieux. Je saluai sous ma tente le 1er  janvier avec mélancolie assurément, mais avec quelle absence d’amertume ! Si ce jour m’apparaissait sans le cortège bien-aimé, et pour la plupart d’entre nous toutefois si douloureusement éclairci, des affections pieuses et anciennes, de quelle sotte et irritante escorte il était dégagé ! Le 1er  janvier au matin, en ouvrant ma tente, je promenai mes regards avec une muette satisfaction sur le tapis de neige immaculée qui m’entourait. Je pensai à ce pavé de Paris, qui à cette époque semble receler dans sa boue plus noire et plus sordide qu’à l’ordinaire toutes les agitations vulgaires de la grande cité.

J’appris un jour, au milieu de nos solitudes guerrières, une nouvelle qui, loin de nous, dut servir de texte à bien des entretiens.

Lord Raglan n’habitait certes pas une demeure somptueuse, mais il n’était point établi sous la tente, comme le général en chef de l’armée française. Il occupait, dans la direction du champ de bataille d’Inkerman, une petite maison qui s’était conservée à l’abri de toute dévastation. Je ne sais quel pouvait être avant nous le propriétaire de ce modeste asile. À l’extrémité d’une grande cour semblable à une cour de ferme s’élevait une sorte de pavillon couvert en tuiles, qui, dans un temps et dans un pays où chaque chose aurait eu son