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couvert des feux ennemis, où passaient le plus de boulets, où sifflaient le plus de balles. Il n’y avait point là entraînement aveugle d’une bravoure irréfléchie : c’était le calcul instinctif d’une généreuse intelligence. Plus d’une fois, comme en une occasion que je rappelais tout à l’heure, balles et boulets se mêlèrent à ses entretiens avec un heureux à-propos. Ces images sensibles du péril donnaient aux plus modestes discours une hauteur et une portée que, je crois, l’on demanderait en vain à toutes les ressources de l’art oratoire.

Il n’y avait point dans la vie journalière du soldat de détails que le général en chef craignît d’aborder. Une nuit avait été particulièrement marquée par une abondante pluie de neige. Cette pluie s’était arrêtée tout à coup, et, sous les souffles du matin, cet amas de neiges tombées était devenu dur, rigide : la lave glaciale s’était figée. Les chevaux ne pouvaient point marcher sur une surface glissante où les hommes même étaient obligés de s’avancer avec précaution. Le général sortit à pied; je l’accompagnais. Il se dirigea vers le bivouac d’un régiment nouvellement arrivé. La mort semblait régner sous ces tentes dressées de la veille, au sein de ce pays désolé. Sauf les sentinelles, aucun homme n’était debout. L’unique moyen de soutenir la lutte à laquelle ils étaient appelés manquait à ces nouveau-venus. Ils n’avaient point de bois. Où en trouver sur ce plateau transformé en désert, qui ne semblait plus produire que des boulets? Le général se penche vers une tente; il appelle, il secoue quelques hommes, pressés les uns contre les autres, cherchant l’oubli de leurs misères dans l’engourdissement d’un funeste repos. Il les engage à faire du feu. On attache sur lui des regards étonnés. « Nous n’avons pas de bois. — Allons, mes enfans, suivez-moi. » Ils l’accompagnent; au bout de quelques pas, le voilà qui s’arrête, et du bout de sa canne il désigne, au milieu d’une surface blanche et unie, quelques pousses noires, minces, frêles, presque imperceptibles, de petites branches semblables à des brins d’herbes que le moindre vent eût fait frissonner. « Voilà du bois, » leur dit-il. Les soldats se mettent à rire, ils croient à une plaisanterie qu’ils ne comprennent pas; mais ils sont distraits et un peu réchauffés par le mouvement, ce qui est déjà quelque chose. Le général s’écrie ensuite : « Qu’on aille me chercher une pioche. » La pioche arrive, et sous les yeux du chef, qui dirige la fouille, on remue la neige, puis la terre, à l’endroit où s’élèvent ces tiges menues. Bientôt c’est un vrai trésor que l’on découvre. Une énorme souche dessine l’un après l’autre ses contours rugueux, et finit par apparaître tout entière aux regards des travailleurs ébahis. « Partout, leur dit le général, où vous verrez ces pousses brunes que vous dédaigniez tout à l’heure, donnez un coup de pioche, et