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deux conceptions irrésistibles qui s’unissent, se pénètrent l’une l’autre et se combinent en une certaine connaissance de Dieu; car, bien que nous conseillions une grande circonspection dans le développement de ces notions générales et simples, on peut ajouter, par exemple sur la foi de l’ordre visible du monde, que la cause en est intelligente; on peut dire, sur la foi de notre propre pensée, que Dieu est le bien souverain, suprême, parfait, en ce sens qu’ainsi que dit saint Anselme, rien de meilleur ne peut être conçu. Ainsi Dieu est le bien suprême et la cause intelligente du monde ; de là il ne faut pas grand raisonnement, il ne faut que regarder dans la conscience, pour connaître d’une manière générale les rapports et les devoirs qui nous unissent à lui. C’est la nature même qui lie en nous ces notions de la Divinité à des sentimens qui sont le fond de toute piété.

Voilà, je crois, l’essentiel de toute philosophie religieuse. Je ne nie pas que la réflexion ne puisse développer encore ces notions nécessaires; mais il y faut beaucoup de prudence, et c’est ici qu’on doit écouter les conseils critiques de Kant et de M. Mansel. On peut étendre un peu la science de Dieu, en disant ce qu’il n’est pas : encore est-il sage de ne pas trop s’avancer. On ne doit pas, malgré de grands exemples, dans le vain espoir d’approcher d’une définition parfaite de Dieu, lui multiplier des attributs inventés par le raisonnement, et se jeter ainsi dans un abîme d’insolubles. Il semble que quelques écrivains aient pris à tâche, en parlant de Dieu, de le composer de contradictions pour le mettre hors des conditions de tout être et de le rendre impossible pour le rendre plus surnaturel. Des théologiens eux-mêmes n’ont pas plus évité cette faute que les philosophes.

« Il nous suffit, dit Leibnitz, d’un certain ce que c’est ; mais le comment nous passe et ne nous est point nécessaire. » Parce qu’en nous représentant les choses directement connues, nous croyons mieux savoir comment elles sont, nous nous épuisons en efforts pour nous rendre Dieu représentable. Comment en effet, sous quelle forme se représenter la cause du monde ou la perfection? Il ne faut qu’en concevoir l’idée, voilà tout. La difficulté vient de ce que, malgré un penchant naturel à en réaliser l’objet, on ne peut, sans quelque teinture de la dialectique platonicienne, montrer aisément que dans ce cas l’idée même suppose une exigence aussi sûrement que dans les cas ordinaires le font la conscience et la perception. L’existence sur la foi de l’idée est la conception la plus élevée de la raison pure, et elle n’appartient qu’à la philosophie.


CHARLES DE REMUSAT.