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théodicée qu’ils trouveront dans l’ouvrage de M. Mansel sur toutes les questions et toutes les solutions tantôt des vues, tantôt des discussions qu’on fera bien désormais d’avoir présentes, quand on voudra s’en mêler. Je ne conseillerais pas plus à un esprit ferme de s’embarquer dans ces recherches sans connaître les huit leçons de M. Mansel que sans avoir approfondi la critique kantienne contre les antinomies de la raison; mais, après cet éloge, grand sans doute, il faudra que l’habile dialecticien nous permette de lui dire ce que le lecteur aura déjà pensé : c’est que l’idée de transporter l’examen de l’objet de la religion au sujet qui la conçoit, et de convaincre de contradiction la raison aux prises avec l’infini, est le procédé de Kant doublé d’une argumentation de Hamilton; c’est que le recours, en désespoir de métaphysique, aux croyances positives non raisonnées, mais puissantes sur la conscience pratique, pour remplacer ou confondre les conceptions de la raison spéculative, n’est que l’application à la religion de la méthode des Écossais en philosophie combinée avec une imitation à fin chrétienne du subterfuge respectable par lequel Kant, pour sauver la religion, l’a réduite à la morale. Seulement le philosophe par là sécularisait la religion; c’est la morale que M. Mansel sanctifie. Dans les deux cas, je crains bien que, si l’on plonge au fond de la doctrine, on ne rapporte, au lieu de la vérité, le scepticisme. Ceci exige quelques développemens.

M. Mansel n’échappe pas au sort trop commun des philosophes, il triomphe dans la critique. La vérité nous force à en convenir, les généralités des meilleures théologies offrent des difficultés insolubles et prêtent à des objections accablantes. Il n’est nullement certain qu’objections et difficultés résultent toutes nécessairement et de la nature du sujet et de celle de l’esprit humain. Sans doute l’essence divine est insondable, notre intelligence sans doute et faillible et bornée ne doit jamais mieux sentir sa faiblesse qu’en présence de la suprême intelligence ; mais, avant de supprimer tout rapport purement intellectuel entre notre esprit et Dieu, il faudrait avoir la certitude que plusieurs des obscurités qui les séparent ne sont pas le résultat naturel, mais accidentel, de certaines erreurs nullement inévitables de la raison. Je suis prêt à concéder que la théodicée, même dans l’église, a empiété par-delà la raison et la foi, et que, grâce à quelques affirmations téméraires et malheureuses, elle s’est créé de grands embarras et a donné quelques facilités à l’athéisme. Quant à moi, je n’hésite pas, et j’en accuse principalement Aristote. Il n’a pas eu moins que la prétention de connaître intimement la nature de l’être; c’est là qu’il a voulu trouver Dieu. Il le définit pour ainsi dire tout entier. Pendant tout le moyen âge, de pieux docteurs ne se sont pas fait le moindre scrupule de suivre cet exemple, comme si l’Écriture ne les avait pas dans vingt