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II.

Cicéron nous a conservé dans sa version latine un beau passage d’Aristote où l’admiration religieuse que doit inspirer le spectacle de l’univers est vivement peinte, et il range l’écrivain grec parmi les philosophes à qui l’ordre a révélé l’ordonnateur. Il aurait pu ajouter que c’est Aristote qui a mis dans la science la cause finale sous son nom, et qu’il en a fait pour ainsi dire la loi de la nature, en répétant sans cesse ces mots pris longtemps pour axiome : « La nature ne fait rien en vain. » Une fois même il s’oublie, et il appelle la nature Dieu. Cependant ne serait-ce pas là une doctrine exotérique qui voilait sa vraie pensée et dissimulait sa métaphysique? Quand il veut arriver, à Dieu même, il le cherche dans la constitution de l’être, et ne le déduit ni ne l’induit de l’expérience de choses sensibles. C’est tout au plus le premier ciel (et le premier ciel n’est pas Dieu) qu’il conclut de l’existence du mouvement par la nécessité d’un premier moteur; mais le Dieu vrai, l’acte pur, la pensée de la pensée, il semble l’atteindre directement et l’affirmer a priori, quoique ce ne soit au fond qu’un corollaire de sa métaphysique. Cependant ce Dieu-là n’est ni l’auteur ni l’ordonnateur intelligent du monde qu’il ne peut connaître, lui qui ne pourrait sans déchéance avoir mis la main à la nature. C’est ainsi que chez les philosophes d’Alexandrie l’artiste divin, le démiurge à qui le monde doit l’harmonie, la beauté, la n’alité actuelle, est néanmoins placé bien au-dessous du premier principe.

Cette inconséquence ou cette duplicité de doctrine ou de méthode dans Aristote a permis à la philosophie du moyen âge de faire tour à tour la théologie a priori et a posteriori. Le passage d’un procédé à l’autre, d’un point de vue à l’autre point de vue, est si facile qu’il nous échappe quelquefois, et que nous ne nous apercevons pas toujours que nous avons changé de voie. A proprement parler, rien dans la science n’est rigoureusement a priori, puisque l’homme est toujours donné, et avec l’homme l’esprit humain. Nos principes les plus élevés, ceux que nous imposons à l’expérience et que nous ne tenons pas d’elle, ne font pas cependant leur apparition dans l’esprit préalablement à toute perception extérieure, à toute conscience de nos opérations intérieures. On peut donc imaginer aisément que tout est inféré a posteriori de nos connaissances empiriques, et les disciples les plus fervens d’Aristote ont pu croire lui être fidèles en niant toute notion directe de la Divinité, et en rattachant cette notion à la sensation même. Saint Thomas d’Aquin, tout pénétré qu’il est de la métaphysique de son maître, soutient obstinément comme une vérité essentielle que, Dieu ne pouvant nous