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Il y a, si l’on veut, présomption de vérité; mais il n’y a preuve que d’un fait permanent de notre nature qui engendre et motive le consentement à une certaine idée. C’est ce fait qu’il faut démêler, étudier, afin de savoir si sa réalité prouve la vérité de ce qu’il atteste. Cela ramène à chercher dans l’esprit humain et dans la raison même l’origine et la garantie de l’idée religieuse. C’est ce qu’ont fait les philosophes lorsqu’ils ont prouvé Dieu par l’idée de Dieu.

Pour le chrétien, l’accord de l’humanité le persuade de l’existence et de l’unité de Dieu bien moins que la foi dans une révélation spéciale et primitive. La certitude, sinon la vérité de cette double croyance est pour lui bien plutôt le privilège d’une race élue que le patrimoine commun de l’espèce. Elle a été confirmée, cette croyance, développée, complétée par les diverses théophanies dont l’Ancien Testament contient le récit, et surtout par la plus grande de toutes, sujet divin du Nouveau Testament. Le christianisme est essentiellement une tradition particulière. Toutes les traditions, hors la chrétienne, sont entachées d’erreur ou d’imposture; elles s’appellent de fausses religions : on ne voit donc pas comment le consentement aux fausses pourrait servir à établir un dogme de la vraie. Aussi, tandis qu’autrefois le consentement général était cité en preuve par les théologiens, il est maintenant représenté comme un souvenir affaibli, comme une traduction altérée de la révélation primitive. Suivant cette doctrine, qui est nouvelle, mais qui a fait d’assez grands progrès dans l’église, la tradition générale doit toute sa valeur à ce qu’elle a conservé de la tradition particulière. L’humanité n’a ajouté que du faux au vrai de la révélation première. C’est donc le christianisme qui fonde l’opinion universelle du monde, et non l’opinion universelle du monde qui appuie un seul des dogmes du christianisme. Quoi qu’on pense de cette théorie un peu hasardée, il demeure que le consentement général mérite plutôt considération qu’il ne commande l’adhésion. En fait, il n’en exerce pas moins une grande influence; en fait, il se présente dans la réalité pour chacun de nous comme un fragment local et national. La religion est pour chacun de nous une tradition de famille et une institution sociale. A ce titre, elle est revêtue d’une grande autorité, et c’est ainsi restreint que le consentement de tous détermine le nôtre. Cependant on remarquera qu’il nous attache au moins autant à ce qui est particulier qu’à ce qui est universel dans les croyances. Demandez à un Écossais pourquoi il est presbytérien, à un Anglais pourquoi il est épiscopal, à un Français pourquoi il est catholique : sa réponse sincère sera la plupart du temps qu’il est de l’église dans laquelle il est né. Le consentement de la majorité, et par suite celui de l’universalité, n’est donc pas une preuve logique, mais il se pourrait qu’il fût un moyen de persuasion plus puissant qu’une preuve logique. Cepen-