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blement arrêté sa ligne de conduite. Comme elle lui demandait de ses nouvelles, il répondit qu’il avait eu les nerfs fort malades à la suite de cet orage, et qu’elle avait dû s’en apercevoir. — J’aime mieux ne pas entendre parler de cela, lui répondit-elle. D’ailleurs ce n’est point votre faute, mais la mienne. — Et elle ajouta en baissant la voix : — Tout autre que vous m’aurait prise en horreur.

— Cela n’est pas en mon pouvoir, répondit-il avec tristesse.

Et, baisant la main de Mme de Marçay, il lui dit qu’il était obligé de faire un petit voyage, et qu’il était venu lui dire adieu.

— C’est au revoir qu’il faut dire, reprit-elle en souriant, et à bientôt. Que ferais-je sans vous?

Ces derniers mots étaient habituels à Mme de Marçay, lorsque Ferni parlait d’éloignement ou de rupture. Elle avait une façon, moitié enjouée, moitié sérieuse, de les dire, qui ravissait Ferni, et qui l’eût décidé à tout plutôt que de s’éloigner d’elle. Ce jour-là, il ne put les entendre sans que son cœur fût près de se rompre. Cependant il put répondre avec assez de calme : — J’espère certainement vous revoir.

Et, lui serrant une dernière fois la main, il sortit.

Le dessein qu’d avait conçu avait quelque chose d’insensé et de criminel, et se ressentait du trouble de la nuit fatale qui l’avait enfanté; mais une fois décidé à l’accomplir, Ferni retrouva pour l’exécuter sa présence d’esprit et son énergie accoutumées. Il partit pour Saint-Pétersbourg, et, afin qu’on ne vît dans ce départ qu’une chose toute naturelle, il se fit appeler par un de ses amis qui habitait cette ville. A peine arrivé en Russie, il donna quelques signes d’un dérangement d’esprit qui trompa tout le monde; puis il parut redevenir complètement maître de sa raison, et vécut comme à l’ordinaire avec ses amis. Il avait connu jadis M. de Marçay, et renoua connaissance avec lui. Il l’amena, je ne sais comment, à venir s’exercer au tir au pistolet, et s’attacha à montrer ce jour-là une agitation extraordinaire. Enfin, dans un moment où deux pistolets se trouvaient chargés et où son tour de tirer était venu, il se plaignit à haute voix de visions et de fantômes qui lui étaient envoyés par ses persécuteurs. Presque aussitôt il se détourna subitement du but, fit feu, et M. de Marçay tomba mort. Avant qu’on eût le temps de faire un mouvement autour de lui, Ferni avait pris le second pistolet et s’était fait sauter la cervelle. Cet accident, qui parut l’effet d’un accès subit de folie, affligea tout le monde à Saint-Pétersbourg, et vous vous souvenez qu’il causa dans Paris, où Ferni s’était fait généralement aimer, la plus pénible surprise. Le suicide de Ferni ne laissait à personne la possibilité de penser que sa prétendue liaison avec