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parut insuffisante aux gens pressés, et le 14 frimaire an II (4 septembre 1793), la convention rendit le décret suivant, un des monumens les plus curieux de l’ignorance et de la violence révolutionnaires :

« Art. 1er. Tous les étangs et lacs de la république qu’on est dans l’usage de mettre à sec pour les pêches, ceux dont les eaux sont rassemblées par des digues et des chaussées, tous ceux enfin dont la pente du terrain permet le dessèchement, seront mis à sec avant le 15 pluviôse prochain (en deux mois), par l’enlèvement des bondes et coupure des chaussées, et ne pourront plus être remis en étangs, le tout sous peine de confiscation au profit des citoyens non propriétaires.

« Art. 2. Le sol des étangs desséchés sera ensemencé en graines de maïs, ou planté en légumes propres à la subsistance de l’homme, par les propriétaires, fermiers ou métayers, et si les empêchemens ou délais proviennent du défaut d’arrangement entre les propriétaires, fermiers ou métayers à cause des conditions des fermes, les propriétaires seuls en seront responsables, sous les peines portées par l’article 1er. »

Cette odieuse et ridicule loi ne fut pas exécutée et ne pouvait pas l’être. Non-seulement tous les propriétaires d’étangs auraient été ruinés du coup, ce qui importait fort peu à la convention, mais la coupure des chaussées, sans les travaux complémentaires qu’exige l’aménagement des eaux, aurait doublé l’insalubrité, inondé les fonds inférieurs, tari la source principale d’engrais, et rendu le pays tout entier inhabitable et incultivable, malgré la clause monumentale qui ordonnait de semer immédiatement les étangs en graines de maïs et en légumes propres à la nourriture de l’homme. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que l’administration publique, qui régissait alors les biens de l’église et des émigrés placés sous le séquestre, c’est-à-dire une grande partie des étangs, n’exécuta pas elle-même ces prescriptions. Dès l’année suivante, il fallut révoquer la loi, et en vendant les biens confisqués, la nation vendit les évolages comme le reste, en garantissant aux acquéreurs la pleine propriété. La loi de 1792 elle-même, quoique non abrogée, est restée une lettre morte pendant plus d’un demi-siècle, parce qu’elle présentait en petit les mêmes dangers que celle de 1793 en grand.

En 1856, une loi nouvelle a été rendue, mais celle-ci ne mérite que des éloges ; l’extrême complication des droits sur les étangs mettait un obstacle très grave au dessèchement en rendant les licitations à peu près impossibles, alors qu’on avait affaire à vingt ou trente intéressés pour des surfaces de 12 ou 15 hectares ; la loi nouvelle a déclaré rachetables les servitudes de toute nature et simplifié beaucoup la procédure à suivre. En même temps, le gouvernement a institué un service spécial d’ingénieurs pour le curage des rivières, et fait commencer l’exécution d’un réseau de chemins qui doit diviser le pays comme un damier. De plus, la Dombes se trouve placée depuis quelques années au milieu d’un triangle de chemins de fer, et on y a établi à la Saulsaie une école régionale d’agriculture, entretenue par l’état. Ces conditions nouvelles suffiraient pour amener avec le temps la révolution agricole.

On ne s’en est pourtant pas contenté, et sous l’impulsion de cet esprit. d’impatience qui a déjà plusieurs fois porté malheur à la Dombes, un autre