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est justifiée par la situation exceptionnelle du pays ; mais, si puissant que soit l’état, il ne peut pas tout. Outre qu’on ne saurait sans injustice imposer au reste de la France de trop grands sacrifices en faveur d’une localité quelconque, si intéressante qu’elle soit, quand tant d’autres auraient besoin de secours, il est difficile d’employer utilement sur un point donné au-delà d’une somme déterminée ; tout excès de crédit conduit au gaspillage. D’un autre côté, l’état ne peut pas procéder par voie de coercition pure et simple, et sans y joindre des secours en argent, à moins de violer le droit de propriété et de faire en définitive plus de mal que de bien. Son action légitime et efficace se trouve contenue dans d’assez étroites limites.

À une époque où l’on ne doutait de rien, en 1790, quelques communes de la Dombes demandèrent à l’assemblée nationale d’ordonner la suppression immédiate des étangs. Un propriétaire du pays, parfaitement compétent, Varenne de Fenille, écrivit sur ce sujet un très bon mémoire, publié dans le recueil de la Sociélé royale d’Agriculture de Paris. Varenne de Fenille ne peut être considéré comme un partisan des étangs ; il avait été au contraire fortement attaqué comme un novateur dangereux pour en avoir dit ce qu’en dit aujourd’hui M. Dubost. La première partie de son mémoire est consacrée à démontrer de nouveau contre ces attaques l’utilité du dessèchement ; mais dans la seconde il combat avec non moins de force ceux qui demandaient un dessèchement général et subit. « Cette proposition, dit-il, mettrait à la place d’un mal très grand un mal plus grand encore, en ce qu’elle aurait pour effet de métamorphoser les étangs en marais ; on dirait un homme qui, atteint d’une maladie grave et sachant qu’il doit prendre successivement plusieurs remèdes, proposerait à son médecin de les lui administrer tous le même jour. » C’est la même idée qui a été résumée plus tard dans ce distique latin :

Incidit in Scyllam curans vitarc Charybdim,
Et stagnum fugiens incidit in paludem.

Varenne de Fenille s’élève formellement contre toute idée d’employer la contrainte pour forcer les propriétaires à détruire leurs étangs ; le moyen qu’il propose consiste à imposer un peu plus les étangs en eau et un peu moins les étangs desséchés, afin d’amener les propriétaires à les dessécher progressivement, volontairement, sans commotion et sans violence.

Malgré ces sages observations, l’assemblée nationale rendit le 11 septembre 1792 un décret ainsi conçu : « Lorsque des étangs, d’après les avis et procès-verbaux des gens de l’art, pourront occasionner, par la stagnation de leurs eaux, des maladies épidémiques ou épizootiques, ou que, par leur position, ils seront sujets à des inondations qui envahissent et ravagent les propriétés inférieures, les conseils-généraux des départemens seront autorisés à en ordonner la destruction, sur la demande formelle des conseils-généraux des communes et d’après avis des administrateurs du district. » Ce décret ouvrait, comme on voit, une assez large porte à l’arbitraire, puisqu’il autorisait la destruction des étangs sans indemnité ; mais, comme il admettait encore quelques formalités pour constater l’insalubrité, la mesure