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ingénieuse qui mérite d’être vraie : le morcellement actuel de l’assec serait, suivant lui, le reste d’un ancien morcellement du sol qui aurait survécu à l’établissement des étangs, et qui attesterait dans une certaine mesure l’ancienne densité de la population. On attribue aux guerres féodales des XIVe et XVe, siècles la dépopulation du pays. Ces causes, quelles qu’elles soient, n’ont pas été particulières à la Dombes, elles ont agi sur la France entière, car la population nationale avait diminué partout, après la guerre de cent ans contre les Anglais, dans une effrayante proportion. Ce qui est particulier à la Dombes, à la Brenne, à la Sologne, c’est la création des étangs à la suite de la dépopulation. L’ancien système de culture n’étant plus possible faute de bras, on imagina, partout où la nature du sol et l’abondance des eaux s’y prêtaient, ce nouveau mode d’exploitation. Le plus grand nombre des étangs de la Dombes datent des XVe et XVIe siècles ; on a sur leur origine des documens certains.

On trouve encore dans la coutume locale des marques évidentes de la faveur autrefois accordée aux étangs par la législation. Quiconque possédait un emplacement convenable pour une chaussée avait le droit d’en élever une et d’inonder les terrains supérieurs, à la charge de laisser aux possesseurs de ces fonds la jouissance de l’assec et les droits de pâture pendant la culture en eau, et de leur payer une indemnité réglée par arbitres et s’élevant en moyenne à la moitié de la valeur des fonds inondés. Ce privilège avait été poussé si loin qu’on avait dépouillé les fonds supérieurs de la faculté d’utiliser les eaux pluviales. Le possesseur de l’évolage avait la propriété absolue de ces eaux dans tout le bassin hydrographique qui alimentait l’étang. Pour que l’évolagiste eût intérêt à payer la moitié de la valeur des fonds inondés et à faire les frais de la construction d’une chaussée, il fallait que la valeur de l’évolage, aujourd’hui à peine égale à la valeur de l’assec, fût bien supérieure. Ce qui explique la vogue des étangs au moment où ils ont été créés, c’est le bénéfice exceptionnel qu’on retirait de la vente du poisson. Par sa position entre trois grands cours d’eau, la Dombes exportait son poisson non-seulement à Lyon, mais jusqu’en Savoie, en Dauphiné et en Provence. Le blé au contraire ne pouvait s’exporter que dans un rayon très restreint, le mauvais état des routes et les entraves de la législation y mettaient un obstacle infranchissable ; il était d’ailleurs obtenu trop chèrement et en trop petite quantité pour pouvoir donner lieu à un commerce quelconque, tandis que le poisson n’exigeait presque pas de main-d’œuvre, une fois la chaussée construite. Les mœurs religieuses avaient puissamment contribué à étendre ce débouché par la multiplicité des couvens et la fréquence des jours maigres ; bon nombre de congrégations étaient propriétaires en Dombes et y produisaient leur approvisionnement.

Un auteur local, nommé Collet, qui écrivait à la fin du XVIIe siècle, en 1695, s’est fait l’interprète de cette vogue. « Ces eaux, dit-il, rendent le fonds où elles ont croupi gras et fertile, sans autre fumier et amendement ; on y met du poisson qui croît, se nourrit, s’augmente et s’engraisse en peu de temps, et s’y multiplie à l’infini. La quantité de poissons qu’on a achetée cinquante ou soixante sols pour empoissonner un étang se vend après un an et demi ou deux ans deux cents francs au moins, car le prix le plus commun