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qui était alors à Genève, proposait de constituer la Romagne en une sorte de principauté indépendante sous la suzeraineté du saint-père ; mais lui-même il considérait son idée presque comme un rêve, bien qu’il s’appuyât sur les plus fortes raisons. Il y a quatre ans, M. de Cavour reprenait cette idée dans le congrès de Paris, et on reléguait encore cette combinaison dans le domaine des chimères. Quatre ans se sont écoulés, et la séparation de la Romagne est un fait accompli, sur lequel on peut argumenter sans pouvoir le méconnaître. Voilà comment marchent les choses quand les hommes ne savent pas les conduire ou les prévenir.

La séparation de la Romagne est un fait accompli, un de ces faits avec lesquels la chaleureuse éloquence de M. l’évêque d’Orléans ne veut point compter, mais avec lesquels la politique est bien obligée de compter. La décision même d’un congrès n’y peut rien changer, si elle est dépourvue d’une sanction matérielle. En un mot, il faut la force contre ce fait. Emploiera-t-on la force pour ramener la Romagne sous le sceptre du souverain pontife ? On a déclaré en toute occasion qu’il n’en serait rien ; mais en outre nous avouons pour notre part que nous ne le désirons ni dans l’intérêt libéral, ni dans l’intérêt catholique, car enfin de quoi s’agit-il ? Voici une population séparée par l’Apennin du reste des états pontificaux, accoutumée à subir l’occupation étrangère, et qui un jour d’un mouvement spontané dispose d’elle-même sans qu’il y ait une résistance. Ses vœux sont-ils une atteinte à l’ordre social ? Cette population porte-t-elle en son sein quelque foyer incendiaire ? Elle est restée jusqu’ici dans l’ordre le plus complet, elle veut s’unir au Piémont pour avoir le droit d’être italienne et pour être libéralement gouvernée. Qu’irions-nous faire dès lors à Bologne ? Irions-nous imposer aux Romagnols et aux autres Italiens du centre des gouvernemens qu’ils repoussent ? Ce serait le plus solennel démenti de tous les principes libéraux, sans que la sécurité des gouvernemens restaurés fût mieux assise. Rien n’est mieux assurément que de signaler les contradictions, les inconséquences de toutes les politiques, qui sont responsables de ce qu’elles font ; mais ce serait, il nous semble, une inconséquence d’un autre genre de la part des libéraux français de vouloir être libres à Paris et de disputer aux Italiens le droit de l’être à Florence et à Bologne. Et le catholicisme, que pourrait-il gagner au rétablissement par les armes de l’autorité pontificale dans la Romagne ? Il y a longtemps qu’on connaît les désastreuses conséquences morales de ces occupations, de ces interventions, de cet emploi permanent de la force. La religion perd ce que la politique ne gagne même pas. Le prince temporel a des sujets domptés, contenus par la force étrangère et ulcérés jusqu’à l’athéisme, qui finissent par confondre le pouvoir religieux et le pouvoir politique. Les protestans ont espéré quelquefois profiter de cet état violent, et les défenseurs du saint-siège l’ont craint au point de donner le signal d’alarme. C’était une erreur des uns et des autres, ainsi que le remarque M. d’Azeglio. Les Italiens ne peuvent être protestans ; ils sont catholiques par tradition, par essence, par nature. Que le pape soit restauré à Bologne pour y vivre dans les mêmes conditions, cette plaie ne fera que s’aggraver. Le catholicisme et le libéralisme ont ici le même intérêt.