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lui, son premier regard rencontra celui de Salomé, qui, debout au pied du lit, préparait un breuvage. Il lui sembla qu’elle avait les yeux humides. — Tenez, lui dit-elle, voilà que la fièvre vous quitte, ce ne sera rien. — Il prit la tasse et but sans la perdre des yeux. Elle ne baissa pas les siens. Il éprouvait un sentiment de bien-être délicieux, et en même temps la profonde lassitude d’un homme qui aurait fait cent lieues. La chambre dans laquelle il se trouvait était blanche et gaie à l’œil ; par la fenêtre, dont on avait écarté les rideaux, on voyait la forêt éclairée par un vif rayon de soleil. La lumière, qui entrait en gerbe et frappait le lit, enveloppait Salomé d’un nimbe d’or. Les parfums de la bruyère et du genêt flottaient dans l’air. Rodolphe chercha encore dans sa mémoire en quel lieu et dans quelle circonstance il avait vu cette tête blonde, attentive à veiller sur son sommeil ; il ne trouva rien, et ferma les yeux pour mieux savourer son repos. Jamais il n’avait été plus heureux. Vers midi, Jacob entra et lui prit la main. — La fièvre s’en est allée, lève-toi et viens respirer le grand air, dit le garde.

Le soir, au souper, Rodolphe reprit la place qu’il avait occupée une fois. Sa serviette, passée dans un rouleau de bois de sapin enjolivé de sculptures, était devant lui ; depuis la veille, il était de la maison. Les effets qu’il avait laissés à Bühl arrivèrent dans la journée, apportés par un roulier ; Jacob les prit à l’auberge où on les avait déposés, et Rodolphe les trouva dans sa chambre en y rentrant.

Le lendemain au petit jour, Jacob se présenta devant son hôte, et le pria de l’excuser s’il ne le menait pas à la chasse. — Une famille de nos frères quitte la montagne, et va chercher au loin une terre où des fruits plus abondans récompensent le travail ; nous qui restons, nous leur disons adieu, et leur offrons l’hospitalité du dernier repas.

Rodolphe suivit le garde. Toute la population de la Herrenwiese était réunie sur le plateau ; ceux qui étaient en retard arrivaient à grands pas, on les voyait sortir des massifs de la forêt, et tous se hâtaient pour serrer encore une fois la main des émigrans. Devant la porte de l’auberge et sur la route, un grand nombre de chariots tout attelés attendaient l’heure du départ ; des mains prévoyantes avaient étalé sur le gazon une provende que les pacifiques animaux se partageaient ; des femmes, des enfans, groupés autour des voitures, échangeaient quelques paroles rares avec leurs voisins. Dans ce jour solennel, les hommes avaient revêtu leurs habits de fête, la longue redingote noire à doublure de laine blanche, le gilet rouge, de grandes bottes, le bonnet fourré ou le chapeau de feutre à cornes ; les femmes portaient sur la tête la coiffe aux larges ailes de soie noire rehaussées de broderies d’or. On couvrait de mets fumans et