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ont le droit de s’affranchir des mauvais gouvernemens et de se constituer librement sous le régime de leur choix, et qui dans la question particulière de l’Italie pensons qu’il faut laisser les Italiens s’organiser comme ils l’entendent, nous n’aurions rencontré dans la question des Romagnes que les difficultés inhérentes au fait lui-même. Sans doute ce fait excite et doit entretenir chez les catholiques dans le monde entier une vive émotion et un grand mécontentement. Toutefois les catholiques appartenant aux nations dont la constitution est fondée sur la revendication du droit populaire, les catholiques de France et d’Angleterre, n’auraient eu aucune plainte légitime à adresser à leurs gouvernemens, lorsque ces gouvernemens auraient pu leur dire : — Nous sommes tenus par notre constitution même de respecter le droit populaire partout où il s’exerce. Fidèles à ce principe, nous ne voulons pratiquer ni intervention ni ingérence en Italie ; nous y laissons les gouvernemens et les peuples régler leurs différends comme ils voudront et comme ils pourront. — Ni les catholiques français ni les catholiques anglais n’auraient pu avec justice s’élever contre une pareille politique et afficher l’exigence que leurs gouvernemens démentissent leur origine et leur principe politique pour rétablir par la force l’autorité du saint-siège sur les Romagnes. Si le pape n’eût pu recouvrer ces provinces, il serait arrivé ce que l’on a vu bien des fois dans l’histoire moderne. Le souverain dépossédé eût protesté contre le fait accompli : quelques puissances attachées à la légitimité auraient refusé de le reconnaître ; on eût laissé le temps accumuler ce nombre variable d’années qui est nécessaire pour donner à un fait la décente parure de la légitimité. Il n’eût même pas été défendu d’espérer qu’un jour un pape pieux, tout en retenant pour l’honneur du principe le titre nominal de sa souveraineté évanouie, jugerait utile d’entrer en relations avec les populations détachées du domaine pontifical et de reconnaître leur nouveau régime. Parcourez la liste des souverains de l’Europe : il en est plusieurs qui portent les titres de souverainetés qui ne leur appartiennent pas, et qui n’en vivent pas moins en bonne amitié avec les possesseurs réels. Le roi de Sardaigne lui-même par exemple n’est-il pas roi de Chypre et de Jérusalem, et songe-t-il à disputer ces fantastiques royaumes au Grand-Turc ?

Ainsi les principes du droit populaire que la France s’est appropriés en 1789 et l’aveu d’une politique de non-intervention en Italie nous suffisaient pour laisser s’accomplir le fait de la séparation des Romagnes, sans que nous eussions à nous exposer aux récriminations légitimes des catholiques français qui croient le temporel nécessaire à l’indépendance du spirituel, sans que nous eussions à courir le danger gratuit d’attrister le cœur du saint-père ou de blesser en lui le souverain. La publication d’une brochure où l’anonymie transparente a laissé voir l’initiative gouvernementale et la publicité donnée à une lettre impériale nous ont enlevé ce bénéfice de la neutralité officielle. En dépit de quelques contradictions, la brochure a mis gratuitement en question le principe du pouvoir temporel du pape, et a fourni un prétexte à l’allocution pontificale du 1er janvier. Quant à la publication de la lettre de l’empereur, il nous est impossible, malgré la meilleure volonté, de croire qu’elle puisse réparer le mal. Pourquoi du moins la lettre