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le soleil du pays natal eussent manqué à leur poitrine, ils ne multiplièrent pas ainsi que les fils d’Israël, et leur nombre lentement diminua plus qu’il ne s’accrut. En 184., Jacob était le chef de la famille ; lui seul portait le nom de Royal dans la Forêt-Noire, et après lui Zacharie seul devait en être le représentant.

Quand le père de Jacob avait été nommé à l’emploi de garde-forêt, dans la pensée que la Herrenwiese serait éternellement l’asile de sa famille, cette terre de Chanaan que poursuivent les proscrits et qu’ils trouvent si rarement, il s’était plu à embellir la maison qu’il avait achetée du fruit de ses laborieuses économies et à l’agrandir pour qu’elle fût commode à ses enfans et aux enfans de ses enfans. De là ces communs amples et bien distribués, ces étables, ce chenil, ce jardin, ce potager qui l’entouraient ; de là ces curiosités qui trompent les longues heures de l’isolement, ce petit ruisseau qui s’arrondit et baigne une île faite d’un peu de terre et de quelques racines entre lesquelles niche le canard, ces prairies et ces taillis larges de six coudées où joue et court une paire de faisans apprivoisés, cette colline tapissée de bruyère qu’un écolier franchirait d’un élan et qui sert de retraite à toute une tribu de lapins que des bassets à robes noires et à jambes torses poursuivent en jappant, ce sapin mort sur lequel perche un milan fauve étonné de son oisiveté, cette forêt enfermée entre quatre planches où bondissent deux chevreuils dont les têtes fines et sauvages regardent le voyageur par-dessus les jeunes pousses, ce lac qui tiendrait dans un boudoir et qu’anime le vif frétillement des truites. Jacob, et après Jacob Salomé et Zacharie avaient grandi dans cette enclave qui les avait amusés tout petits, et à laquelle, plus grands, ils tenaient par mille souvenirs. Si leur domaine n’était pas grand, ils avaient la prairie, le torrent, et plus loin les profondeurs sans bornes de la forêt. Quels ravins ne connaissaient-ils pas, dans quelle source n’avaient-ils pas étanché leur soif, quelles pentes n’avaient-ils pas gravies ! De la Hornisgrinde au Wildersee, il n’était pas de coin sombre qu’ils n’eussent exploré.

Dans la semaine, les soins du ménage occupaient les femmes ; le temps des hommes appartenait à la forêt : ils en surveillaient les coupes, marquaient les arbres et chassaient. De lentes épargnes amassées d’année en année avaient grossi le petit avoir de la famille. À dix-huit ans, et dans ces contrées pauvres, Salomé, qui avait six arpens de bonnes terres et 3,000 florins de dot, passait pour un riche parti. Elle n’avait point encore fait de choix. Jamais on ne la voyait aux danses qui réunissent la jeunesse du pays dans l’auberge. Le dimanche, elle priait en famille. Personne ne filait mieux qu’elle et ne préparait de meilleure toile. Elle était active,